Vorige

Donation – placement à risque avec rente mensuelle – convention de gestion – politique de placement inadéquate.

 

2012.1081

 

THEME

 

Donation – placement à risque avec rente mensuelle – convention de gestion – politique de placement inadéquate.

 

AVIS

 

Présents :
Messieurs A. Van Oevelen, Président;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres.
Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 23 juillet 2013

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

Le requérant, accompagné de sa maman, se rend en mai 2007 auprès d’une agence de la banque : une entrevue y est organisée avec le responsable de l’agence et un private banker de la banque afin d’analyser le cadre d’une donation mobilière pour une valeur de l’ordre de 500.000 EUR que la maman envisage de réaliser au bénéfice du requérant, à charge pour ce dernier d’assurer à la donatrice une rente mensuelle de 1.665 EUR.

 

Le requérant, ainsi que son épouse, sont déjà clients auprès de cette agence bancaire. En 2006 un profil d’investisseur a pu être déterminé sur base de réponses à un questionnaire; les clients y exprimaient, entre autres, le souhait de bénéficier de la garantie totale de leur capital ainsi que d’un rendement connu au préalable, et y privilégiaient aussi un portefeuille composé exclusivement d’obligations. La banque a conclu que le profil d’investisseur des clients était de type LOW avec un horizon d’investissement de minimum 4 ans. Pour la banque, ce profil correspond à un investisseur qui désire accroître son capital tout en prenant des risques limités. La partie sans risque du portefeuille, constituée de titres à revenu fixe en EUR, est complétée par un investissement limité (de 30 à 45%) en actions. Des fluctuations momentanées à la baisse du portefeuille sont possibles.

 

En juin 2007, au terme de la donation de sa maman au bénéfice du requérant, deux actions sont entreprises au sein de l’agence bancaire :

 

-   un mandat de gestion donné par le requérant à sa maman par lequel il lui confère plein pouvoir à l’effet de gérer les avoirs financiers ayant fait l’objet de la donation, en ce compris le droit de déléguer l’exercice de ce mandat à une institution financière, étant entendu que c’est le mandataire qui fera le choix de la politique de placement;

 

-   un mandat de gestion discrétionnaire, co-signé par le requérant, sa maman et la banque, autorisant cette dernière à gérer et investir les avoirs de la donation. Le choix d’investissement se porte en juin 2007 sur le compartiment « Europe Yield » de la sicav de droit belge « xxx Select Portfolio Fund of Funds ». Ce choix est avancé par la banque dès lors que l’objectif du compartiment retenu correspond à la déclaration des clients d’opter pour un objectif d’investissement de type défensif, catégorisé par la banque comme étant le moins risqué sur une échelle de trois objectifs. Le Prospectus simplifié de ce compartiment de la sicav indique qu’il est destiné à des investisseurs ayant un horizon de placement de minimum 2 ans et suffisamment avertis quant au risque inhérent aux marchés d’actions et d’obligations. Il établit par ailleurs que les placements portent sur des parts d’OPC belges ou étrangers investissant eux-mêmes essentiellement en obligations, en liquidités et instruments du marché monétaire, et en actions. Il y est précisé que les OPC d’actions sont toujours minoritaires au sein du compartiment.

 

En septembre 2008, un nouveau profil d’investisseur du client (donatrice et donataire) est établi et détermine que, pour l’ensemble de ses avoirs auprès de la banque, ce profil est de type LOW. La banque utilise à cet égard une échelle typologique comprenant cinq catégories (defensive, low, medium, high et dynamic). A la catégorie LOW sont associés des objectifs d’investissement qui cadrent avec un horizon de placement de 4 ans minimum et au moyen desquels l’investisseur a pour but d’accroître progressivement son capital au travers d’un rendement plus soutenu que celui du marché obligataire, tout en étant disposé à renoncer à une partie de la sécurité.

 

Ce profil d’investisseur est repris en annexe d’un nouveau mandat de gestion discrétionnaire co-signé par les parties en octobre 2008. Ce remaniement s’impose en raison de la demande formulée par le requérant et sa maman de résilier la convention de gestion conclue en 2007. Dans le même temps, la stratégie d’investissement du portefeuille est aussi adaptée; les parts du compartiment « Europe Yield » de la sicav « xxx Select Portfolio Fund of Funds » sont vendues à perte et le produit de cette cession est quasi intégralement (95%) réinvesti dans les parts du compartiment de la sicav « xxx Portfolio Advanced, Fund of Funds, Low ». Le Prospectus simplifié de ce compartiment de la sicav indique qu’il est destiné à des investisseurs ayant un horizon de placement de minimum 3 ans et suffisamment avertis quant au risque inhérent aux marchés d’actions et d’obligations. Il établit par ailleurs que les placements portent sur des parts d’OPC belges ou étrangers investissant eux-mêmes essentiellement en obligations et valeurs mobilières assimilables, en liquidités et instruments du marché monétaire, et en actions. Il y est précisé que les OPC d’actions ne pourront dépasser 30%.

 

En septembre 2009, un nouveau profil d’investisseur du client (donatrice et donataire) est établi et il se confirme que ce profil est toujours de type LOW. Un avenant à la convention de gestion conclue en octobre 2008 s’impose néanmoins dès lors que le client manifeste formellement le souhait de s’écarter des objectifs d’investissement cadrant avec son profil. Il choisit à cet effet des objectifs d’investissement MEDIUM se situant à un degré de risque supérieur par rapport à ses objectifs précédents. En conséquence, les parts du compartiment de la sicav « xxx Portfolio Advanced, Fund of Funds, Low » sont vendues avec gain et le produit de cette cession est quasi intégralement (93%) réinvesti dans les parts du compartiment de la sicav « xxx Portfolio Advanced, Fund of Funds, Medium ». Ce compartiment de la sicav est destiné à des investisseurs ayant un horizon de placement de minimum 5 ans et qui recherchent un accroissement plus important de leur capital au travers d’un rendement attractif. Lorsqu’elle est neutre, la stratégie d’investissement vise une exposition en actions de 40% : elle peut toutefois être portée à 60% en fonction de l’évolution du marché.

 

Depuis la mise en place de la donation et conformément à une disposition de la convention de gestion discrétionnaire, des retraits périodiques ont été opérés afin de servir la rente mensuelle prévue au bénéfice de la donatrice. Ces retraits se sont élevés au total à 37.904,70 EUR jusqu’au 27 août 2009. Après cette date, les retraits périodiques ont été suspendus.

 

Le 1er février 2011, le requérant adresse un courrier à la banque dans lequel il déplore une diminution de capital quant aux avoirs reçus en donation de sa maman en juin 2007. Deux réunions sont organisées avec les responsables de l’agence dans les semaines qui suivent.

 

En septembre 2011, il est procédé à la vente avec gain des parts du compartiment de la sicav « xxx Portfolio Advanced, Fund of Funds, Medium »pour un montant total net de 454.539,80 EUR.

 

En fevrier 2012, le requérant souscrit un contrat d’assurance « xxx Life Private » sur lequel il verse un montant de 456.000 EUR et se réserve des rachats périodiques annuels pour des montants nets de 12.500 EUR.

 

Le point de vue du requérant

 

Le requérant maintient que lui et sa maman ont au départ été trompés par la banque dès lors que celle-ci a procédé à des placements dont la valeur de capital était à risque. Ce n’était en aucun cas le souhait des clients puisque l’accent devait être mis sur le paiement d’une rente et que le produit de la donation était précédemment investi dans du capital garanti. Le requérant ajoute qu’il n’a jamais été informé adéquatement sur la nature des placements réalisés, que ces placements étaient imposés et non le fruit d’un choix délibéré de leur part, et qu’ils ne correspondent pas à son niveau d’expérience et de connaissance ni à celui de sa maman.

 

Le requérant reproche par ailleurs à la banque d’avoir entrepris au fil du temps des actions successives de plus en plus risquées ne faisant qu’aggraver la perte de capital, raison pour laquelle il a été contraint de mettre un terme au paiement de la rente en 2009.

 

Le requérant ne fournit aucun document permettant, le cas échéant, d’évaluer son dommage.

 

Le point de vue de la banque

 

La banque estime que le recours à une convention de gestion discrétionnaire répondait à l’intention des clients de lui confier la gestion des avoirs dont ils ne maitrisaient probablement pas toutes les caractéristiques. En outre, la convention de gestion permettait de suivre une stratégie d’investissement visant à dégager une rentabilité permettant de payer la rente souhaitée par la donatrice, souhait qui ne pouvait pas être rencontré par un investissement moins risqué en bons de caisse.

 

Les informations nécessaires à la prise en compte de l’expérience et des connaissances des clients pour déterminer leur profil d’investisseur ont été, de l’avis de la banque, recueillies en suffisance lors de l’établissement de la convention de gestion. A chaque établissement de la convention de gestion, les clients admettent formellement avoir été complètement informés quant aux objectifs, aux types et aux risques financiers associés à la gestion discrétionnaire retenue.

 

La banque soutient qu’au départ de la convention de gestion, la garantie du capital n’a jamais été évoquée. Elle fait du reste le constat que les clients ont à deux reprises opté pour des objectifs d’investissement plus risqués, ce qui ne démontre pas du tout, selon elle, leur volonté de préserver leur capital à tout prix.

 

Enfin, la banque fait observer que les différents compartiments successivement retenus se sont globalement comportés de manière positive au regard de leur horizon de placement. Elle relève par ailleurs que les clients n’ont subi aucun dommage dès lors qu’au terme de la période de plus de quatre années gouvernée par une convention de gestion discrétionnaire, les clients ont récupéré la totalité des fonds investis lors de la donation.

 

II. AVIS DU COLLEGE

 

Le Collège constate tout d’abord qu’aucune ambiguïté n’existait au départ entre les parties quant aux intentions des clients; l’objectif recherché était en effet de faire un placement avec le produit d’une donation de 500.000 EUR afin de dégager en faveur de la donatrice une rente mensuelle de l’ordre de 1.665 EUR et de récupérer le principal à l’échéance. Le Collège constate par ailleurs qu’au vu des placements effectués par les clients avant la donation, leurs connaissances  et expériences se limitaient à des produits financiers qui, en plus des revenus annuels produits, comportaient une garantie implicite du capital (carnets d’épargne, bons de caisse et bons d’Etat). Enfin, à la lecture du profil d’investisseur du requérant établi en juin 2006, c’est-à-dire un an avant l’opération de placement considérée, le Collège fait le constat que la banque déduit des réponses au questionnaire que le requérant désire accroître son capital tout en prenant des risques limités. La partie sans risque du portefeuille, constituée de titres à revenu fixe en EUR, est complétée par un investissement limité (de 30 à 45%) en actions. Des fluctuations momentanées à la baisse du portefeuille sont possibles.

 

Le Collège s’étonne qu’au moment où il s’est agi de réaliser, en 2007, un placement conforme aux souhaits des clients d’assurer à la fois le maintien du capital et le paiement d’une rente, la banque n’ait pas jugé nécessaire, au vu de cet élément nouveau par rapport au profil d’investisseur établi en 2006, de modifier les objectifs d’investissement dans un sens plus défensif. Le Collège juge encore moins compréhensible le fait que soit maintenue une stratégie d’investissement comportant des risques par rapport à un placement en bons de caisse qui aurait permis, sur une période de cinq ans et eu égard aux taux en vigueur à l’époque supposés constants, de dégager, nette d’impôts, la rente mensuelle souhaitée tout en recouvrant à l’échéance plus de 95% du capital investi. A cet égard, le Collège ne peut retenir les arguments de la banque que le choix d’une stratégie plus risquée était encouragé par le niveau de rente exigée et s’indiquait au surplus par l’absence de revenus avant un an avec la formule du bon de caisse; il convenait au contraire de proposer une formule de placement qui garantissait le capital moyennant une rente mensuelle réduite de l’ordre de 15%. Le Collège juge dès lors que le produit d’investissement proposé aux clients en 2007 était inapproprié.

 

Le Collège estime par ailleurs que la formule de gestion discrétionnaire « ad hoc » dans laquelle les clients ont été contractuellement engagés dès 2007 ne s’indiquait nullement, et il ne peut en conséquence pas suivre l’argument de la banque selon lequel elle n’était en réalité tenue qu’à une obligation de moyens dans le cadre de ce placement.

 

S’agissant du nouveau profil d’investisseur établi en septembre 2008 et au terme duquel la banque a conclu à un profil catégorisé LOW, le Collège s’étonne que le profil DEFENSIVE n’ait pas été retenu à un moment où la valeur du placement réalisé en 2007, indépendamment de la rente déjà payée, avait enregistré une sensible diminution. Le Collège estime qu’il incombait à la banque, à fortiori dans un contexte de crise financière, de relever à cette occasion la contradiction entre un placement risqué et la contrainte du paiement de la rente; il est dès lors aussi d’avis que le choix du produit d’investissement proposé aux clients en 2008 était inapproprié.

 

En ce qui concerne la modification intervenue en 2009, à la demande des clients, des objectifs d’investissement et dès lors de la stratégie mise en œuvre par la banque, le Collège considère qu’elle n’a pas agi au mieux des intérêts des clients en privilégiant un placement encore plus risqué que le précédent alors que le requérant avait interrompu le paiement de la rente. Le Collège reconnaît toutefois ici une part de responsabilité des clients dans la mesure où ceux-ci ont formellement approuvé une disposition contractuelle par laquelle ils souhaitaient s’écarter des objectifs d’investissement repris dans leur profil d’investissement général.

 

Le Collège ne rejoint pas la banque dans son argumentation quant à l’absence de préjudice dans le chef des clients au motif qu’entre juin 2007 et septembre 2011, ceux-ci ont recouvré la valeur du capital investi. Cette argumentation repose sur un calcul erroné qui prend en compte les montants de rente payés par le requérant à la donatrice.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège considère la plainte comme recevable et fondée.

 

Il constate que la banque a dès le départ mis en œuvre une politique de placement qui n’était pas en adéquation avec les objectifs et les intérêts des clients. Une inadéquation du même type est observée en 2008. La banque n’a donc pas agi conformément à l’article 36 de la loi du 6 avril 1995 qui prévoit que la banque doit servir au mieux les intérêts de leurs clients, avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent, compte tenu du degré de connaissance professionnelle des clients.

 

Le Collège invite en conséquence la banque à présenter une proposition d’indemnisation en se référant à une formule de placement sans risque.

 

Le Collège statuera, le cas échéant, à défaut d’accord entre les parties.

 

La banque n’a pas suivi l’avis du Collège.