Vorige

Autres - Successions

2019.654

THEME
Autres - Successions

AVIS

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président;
Madame N. Spruyt; Messieurs, A. Guigui, membres;

Date : 15 octobre 2019

1. PLAINTE
De manière générale, le requérant conteste la gestion de la donation et la succession de son oncle, décédé le 17/05/2018. Il estime qu’à la suite de cette mauvaise gestion, il a été dans l’impossibilité de liquider les avoirs en mai 2018 et il demande « un remboursement de la différence des valeurs entre le 15/06 et le mois de décembre », date à laquelle il a pu liquider les avoirs.
Le contexte dans lequel cette donation a été effectuée est le suivant : le dossier de donation avait été préparé depuis une réunion du 9 janvier 2018 chez l’institution financière à Liège en présence du private banker du défunt et d’un membre du service juridique. En effet, l’idée sous-jacente et insufflée par l’institution financière était de procéder comme suit :
- à la donation du portefeuilles-titres et des avoirs bancaires de son oncle en faveur du requérant uniquement pour éviter tous les problèmes liés au fait que l’autre héritière, sa sœur vit aux USA.
- et ensuite de vendre ces avoirs pour vous permettre de « restituer » la part qui « revenait » à sa sœur, valeur au jour de la donation. Sa sœur était bien évidemment au courant de ce mécanisme mis en place.

Or la santé de son oncle s’est dégradée et une donation mobilière authentique a été reçue par le notaire de la famille le 16 mai 2018. Son oncle est décédé le lendemain, soit le 17 mai 2018.
Le 17 mai, le notaire a pris contact par téléphone avec le private banker et l’a informé de la donation et du décès de son oncle. Il a également eu de nombreux contacts avec son banquier. Le 11 juin, le notaire avertit la banque par mail de ce décès.
Le 12 juin, la banque procède à l’envoi de la liste fiscale à l’enregistrement et de la liste des avoirs au Notaire.
Le 15 juin, le notaire transmet l’acte de donation notarié datant du 16 mai et donne les instructions d’exécution le 10 juillet 2019.

La donation n’a pas été retranscrite dans les livres de l’institution financière, et elle n’a donc pas été exécutée immédiatement. Ceci signifie que l’intitulé des comptes n’a pas été changé car pour l’institution financière, selon le process de la banque, lorsqu’une donation a été réalisée par acte notarié, mais n’a pas été exécutée avant le décès, la banque exécute la donation uniquement lorsqu’elle est en possession d’un certificat d’hérédité (blanco), moyennant l’accord des héritiers repris sur ce certificat et du donataire.

Le 15 juin, le notaire demande à la banque de modifier la liste fiscale, la banque refuse, puisque la liste fiscale est la photo des avoirs bancaires au jour du décès et la banque ne la modifie jamais à posteriori. Il appartient, en fait, au notaire ou aux héritiers de mentionner dans la déclaration de succession que ces avoirs ont fait l’objet d’une donation non exécutée au jour du décès.

Le 10 juillet, le notaire donne à la banque des instructions de transfert, de liquidation et de clôture.

Le 22 août, la banque écrit au notaire pour lui réclamer un certificat d’hérédité.

Le 28 août, le notaire écrit pour demander d’exécuter la donation. Le même jour, la banque reçoit le certificat d’hérédité. La succession est dévolue via un testament authentique dans lequel le défunt a désigné comme légataires universelles : sa soeur, résidente aux USA et lui-même.
Vu la présence d’une légataire universelle résidant aux USA, la banque réclame l’autorisation de déblocage de l’enregistrement conformément aux articles 94 et 95 du code du droit des successions (CDS). Sans cette attestation, la banque déclare ne pas pouvoir liquider la succession et exécuter la donation. Les avoirs, objet de la donation sont donc toujours bloqués.

Malgré divers échanges entre le notaire et la banque, et avec lui, les avoirs ne sont toujours pas liquidés.

Ensuite le dossier de succession suit son cours :
° Le 17 octobre : le notaire envoie la demande de paiement des droits de succession.
° Le 23 octobre : la banque paie et lui répond.
° Le 30 octobre : la banque reçoit les autorisations de déblocage de l’enregistrement.
° Le 2 novembre, la banque procède à la rédaction de la note liquidative et l’envoie au centre de banque privée.
° Le 22 novembre, la banque reçoit une procuration des deux légataires en faveur du notaire et transmet immédiatement les documents au centre de banque privée.
° Le 26 novembre, la banque informe le centre de banque privée que conformément aux procédures déterminées par la loi (et conformément à l’article 1240 bis du Code civil), la donation en faveur d’une seule légataire ne peut pas être exécutée sans l’accord des deux légataires.
La banque réclame les autorisations de déblocage de l’enregistrement conforme aux articles 94 et 95 du CDS.
Le 5 décembre, l’instruction de vente des titres est exécutée et les fonds ont été libérés le 12 décembre.

Entre fin juillet 2018 et la vente des titres en décembre 2018, leur valeur a chuté. Estimant que la banque n’a pas correctement agi en n’exécutant pas la donation immédiatement et qu’il a subi un dommage du fait de cette erreur, il souhaite que la banque prenne en charge la différence de valeur entre ces deux dates qu’il estime à 10%.



2. POSITION DE LA BANQUE
La banque estime avoir correctement agi dans ce dossier : d’un point de la succession, la banque a réagi aux divers courriers et demandes fondées, selon son interprétation. D’un point de vue de la donation, celle-ci n’a pas été actée dans leur livres avant le décès du donateur, et dès lors, la banque a réclamé, conformément au process « successions», le certificat d’hérédité afin de recueillir l’accord des héritiers sur l’exécution de la donation.

De plus, le service juridique de l’institution financière s’était penché sur la question et voici son argumentation :

Sur le plan civil, la banque ne peut pas exécuter d’opérations sur le compte d’un client sans avoir reçu une instruction préalable directe de la part du titulaire du compte (le donateur dans ce cas-ci). Si le titulaire du compte est décédé, comme c’était le cas dans ce dossier, la banque doit être en possession d’une instruction émanant des héritiers de ce dernier afin de pouvoir effectuer une opération sur ledit compte. Dès lors, la banque confirme qu’elle devait être en possession de l’accord des héritiers avant de pouvoir faire les opérations en compte en exécution de la donation notariée. La banque a obtenu l’accord nécessaire en date du 11 juillet 2018 et non avant car aucune instruction claire et précise n’a été adressée précédemment.

Concernant le volet fiscal, l’institution financière s’est informée auprès de l’administration fiscale relativement à l’application de l’article 95 du Code des droits de succession qui a été faite dans ce dossier. L’institution financière ne conteste pas que civilement, les avoirs étaient sortis du patrimoine du donateur suite à la donation notariée qui avait été effectuée avant son décès.

Mais l’article 95 du Code des droits de succession concerne les obligations fiscales que la Banque se doit de respecter, sous peine de se voir appliquer des sanctions. Cet article prévoit ce qui suit : « Les inscriptions, titres nominatifs ou au porteur, sommes, valeurs, coffres fermés, plis et colis cachetés dont il est question aux articles 96 à 99 ne peuvent faire l'objet d'une conversion, d'un transfert, d'une restitution ou d'un paiement, s'ils reviennent en tout ou en partie à un héritier, légataire, donataire ou autre ayant droit habitant en dehors de l'Espace économique européen, avant qu'ait été fourni le cautionnement prescrit par l'article 94. » . Or l’administration fiscale a été interrogée de manière informelle et générale en 2015 par la banque afin de connaître sa position relativement à l’application des articles 94 et 95 du Code des droits de succession dans le cas d’une donation (faite en pleine propriété) non exécutée.

A la question de savoir si les articles 94 et 95 du Code des droits de succession sont applicables aux donations notariées non exécutées, l’administration fiscale a répondu ce qui suit : « Les art. 96 et 97 visant l’information des avoirs détenus par « le titulaire de l’inscription » (art 96) et/ou « revenant à un héritier, légataire, donataire ou autre ayant droit » (art.97), il me semble que ces termes sont suffisamment larges pour intégrer son cas visé de la donation non encore exécutée ». L’article 95 du Code des droits de succession étant applicable dans tous les cas où sont applicables les articles 96 à 99 du Code des droits de succession (Rép. Not., T.XV, Livre 2/1, n°1155, cfr. en annexe), on peut en conclure que l’article 95 est applicable aux donations non encore exécutées.

Par ailleurs, l’article 95 vise tout transfert, paiement ou restitution d’avoirs revenant en tout ou en partie à un héritier, légataire, donataire ou autre ayant droit habitant en dehors de l’Espace économique européen. L’administration fiscale a confirmé que le terme « donataire » tel qu’utilisé dans l’article 95 du Code des droits de succession visait également le donataire d’une donation non exécutée, même si historiquement le Code visait l’institué contractuel.

En outre, comme le confirme le Répertoire Notarial (Rép. Not., T.XV, Livre 2/1, n°1158, cfr. en annexe), lorsqu’un des héritiers, légataires, donataire ou ayant droits est domicilié en dehors de l’EEE, cela bloque tous les avoirs. Si l’on doit considérer que l’article 95 s’applique aux donations non exécutées, cela veut dire qu’on ne peut pas débloquer les avoirs revenant au donataire, même s’il réside lui-même au sein de l’EEE. Or l’accord de déblocage du receveur n’a été réceptionnée que le 30/10/2018 par la Banque.

L’institution financière estime donc avoir fait preuve de diligence et de prudence en interrogeant l’administration fiscale et en adaptant sa position conformément à celle de l’administration fiscale. Elle estime avoir correctement agi.

3. AVIS DES EXPERTS
Le Collège constate : « En date du 10 juillet 2018, la Banque a reçu de la part du notaire, dûment mandaté par les héritiers du défunt, des instructions claires concernant la liquidation des comptes de ce dernier. Ces instructions prévoyaient notamment le transfert des avoirs financiers inscrits au crédit des deux comptes-titres du défunt au profit de la requérante. Comme clairement indiqué dans les instructions du notaire, le transfert de ces avoirs devait être effectué en exécution de la donation consentie par le défunt au profit de la requérante la veille de son décès et non au titre du partage de la succession.

Les motifs ayant conduit la Banque à postposer l’exécution de ces instructions résulte d’une analyse contestable des textes applicables en l’espèce. S’il semble être admis que l’article 95 du code des droits de succession vise bien les cas de donations non encore exécutées, encore faut-il que les avoirs énumérés par cette disposition reviennent en tout ou en partie à un héritier, légataire, donataire ou autre ayant droit habitant en dehors de l’Espace Economique Européen (EEE).

Il semble toutefois clair qu’en l’espèce les avoirs financiers inscrits au crédit des deux comptes-titres revenaient exclusivement et intégralement à la requérante qui est sans conteste une habitante de l’EEE. Par conséquent, le Collège estime que les formalités qui découlent de l’article 95 du code des droits de succession pouvaient raisonnablement être écartées. Le fait qu’une des héritières du défunt soit domiciliée en dehors de l’EEE est irrelevant à partir du moment où il est clairement établi que les avoirs inscrits au crédit des deux comptes-titres ne lui revenaient ni en qualité d’héritière, ni en qualité de donataire ni en quelconque autre qualité d’ayant-droit.

Ceci étant exposé, le Collège rappelle que dans la gestion des dossiers de succession la banque assume une importante responsabilité tant vis-à-vis des ayants droits que vis-à-vis du fisc belge. Il apparaît donc normal que des procédures relativement strictes soient mises en place par les banques pour la gestion de ce type de dossier. A ce titre, il n’est ni anormal, ni inhabituel de devoir attendre plusieurs mois pour obtenir la liquidation des comptes bancaires d’une personne décédée.

Partant de ces considérations, le Collège estime que même si la Banque a, dans une certaine mesure, indument retardé l’exécution des instructions de liquidation qui lui avaient été transmises, elle ne saurait porter seule l’entière responsabilité de la perte subie par la requérante.

Force est en effet reconnaître que d’autres circonstances totalement étrangères aux agissements de la Banque ont contribué de manière significative à formation des pertes encourues par la requérante. Au nombre de ces circonstances étrangères, il convient notamment de tenir compte d’une conjoncture économique particulièrement défavorable (mini crash de fin 2018), de la nature des avoirs financiers du défunt particulièrement sujets à la volatilité des marchés (lignes individuelles d’actions) ainsi que du décès du défunt le lendemain de la donation consentie au profit de la requérante.

En conclusion, le Collège d’experts considère la demande de la plaignante recevable et partiellement fondée. Sur base d’une appréciation ex aequo et bono des circonstances de l’espèce, le Collège recommande à la Banque d’indemniser la requérante à concurrence de la moitié de la perte subie par cette dernière sur les avoirs financiers inscrits au crédit des deux comptes-titres du défunt. Afin de calculer le montant de cette perte, le Collège préconise de se référer à la valeur à laquelle les instruments financiers auraient pu être vendus si la Banque n’avait pas indument retardé l’exécution des instructions de liquidation du notaire. Sur base d’une appréciation ex-aequo et bono, le Collège estime qu’il convient de fixer cette date au 10 septembre 2018, soit deux mois après la transmission des instructions de liquidation. »

4. CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN
Dans le cadre de la présente médiation, compte tenu des échanges d’arguments et après l’analyse transmise par le Collège, l’Ombudsman rejoint ce dernier.