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Compte d’épargne, domicile fiscal.

2011.1990

 

THEME

 

Compte d’épargne, domicile fiscal.

 

AVIS

 

Présents :


Messieurs A. Van Oevelen, Président ;

 

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président;

 

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres


Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 17 juillet 2012

 

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

  1. Jusqu’en juin 2009, le requérant était titulaire d’un compte épargne auprès de la banque.

     
  2. En 2009, la banque décide de mettre un terme à toute relation commerciale avec ses clients dont le domicile fiscal n’est pas établi en Belgique. Elle justifie sa décision en raison d’implications fiscales et administratives jugées trop couteuses par rapport à son business model. Les relations commerciales concernées devaient prendre fin pour le 1er janvier 2010.

     
  3. Le 25 juin 2009, le requérant signe les documents nécessaires à la clôture de son compte en banque. A la même époque, les conditions générales de la banque sont modifiées de façon à tenir compte du nouveau critère de domicile fiscal et officiel en Belgique.

     
  4. En octobre 2011, le requérant reprend contact avec la banque pour l’ouverture d’un compte à vue et d’un compte épargne. Celle-ci lui rappelle sa politique d’acceptation des clients et refuse de rétablir la relation commerciale. Le requérant est officiellement informé de cette décision par courrier du 10 octobre 2011


    Le requérant estime que cette stratégie commerciale est discriminatoire et empêche la libre circulation des capitaux qui constitue un des objectifs du traité de l'Union.

     
  5. La banque estime qu'elle est en droit de décider de sa politique commerciale notamment en sa politique d’acceptation des clients. Elle considère que le suivi administratif découlant des obligations fiscales et des obligations légales d’identification des clients est trop important et trop coûteux pour les comptes en ligne à coûts réduits.


    Interpellée par l'ombudsman, la banque considère que l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) qui consacre la libre circulation des capitaux n'a pas d’effet horizontal en droit national, de sorte qu’un particulier ne peut l’invoquer dans ses relations contractuelles avec un autre particulier. La banque relève par ailleurs qu'il n'existe aucun texte de droit européen qui interdirait la pratique commerciale appliquée en l'espèce :

 

  1. La directive 2003/48/CE (2011/442/CE) qui prône le libre accès des consommateurs européens aux comptes de paiement de base, n’a pas pour but de fournir un accès aux comptes de paiement à tous les citoyens européens dans les états européens, mais bien de permettre que les revenus de l'épargne, sous forme de paiement d'intérêts effectué dans un État membre en faveur de bénéficiaires effectifs, personnes physiques, résidents fiscaux d'un autre État membre, soient effectivement imposés conformément aux dispositions législatives de ce dernier État membre. (article 1).
  2. La recommandation du 18 juillet 2011 relative à l'accès à un compte de paiement de base ne s’adresse qu'aux Etats membres et n'a aucun caractère obligatoire. En outre, cette problématique est étrangère au cas d'espèce puisqu'il est avéré que le requérant dispose d'un compte auprès d'une autre banque. 
     

La banque soutient également que sa politique commerciale ne peut être critiquée au regard des dispositions de droit belge réprimant la discrimination. La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination (loi anti-discrimination) et la loi du 10 mai 2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie (loi antiracisme) interdisent les discriminations fondées sur certains critères limitativement énumérés. Le critère invoqué par la banque ne se fonde pas, selon elle, sur l’un de ces critères protégés mais sur le domicile fiscal des clients potentiels. 

 

La banque confirme que le refus de contracter avec des personnes n’ayant pas leur domicile fiscal et officiel en Belgique est exclusivement fondée sur les obligations administratives, fiscales et légales (notamment en matière de lutte contre le blanchiment), dont le coût est impossible à supporter dans un modèle commercial de comptes sans frais.

 

II. AVIS DU COLLEGE DE MEDIATION

 

  1. Le choix par un opérateur économique de mettre sur le marché des produits et de déterminer les conditions auxquelles il soumet son offre est une application du principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Cette liberté, qui se traduit dans le droit des obligations par le principe de l'autonomie de la volonté, permet à cet opérateur de contracter avec la personne de son choix et aux conditions qu'il détermine. Ces conditions peuvent être différentes selon les cocontractants.

     
  2. Ce principe n'est toutefois pas sans limites. Le traité C.E. interdit, par exemple, les discriminations exercées en raison de la nationalité, du lieu de résidence ou de la provenance du bien. Les règles du Traité C.E. ne s'imposent qu'aux Etats et aux instances communautaires. Elles ne peuvent donc pas être invoquées dans les rapports de droit privé entre deux particuliers. La jurisprudence défend néanmoins une conception large de l'Etat et applique l'interdiction de la discrimination sur base des critères évoqués, aux normes de nature non publique qui visent à régler de façon collective, une activité économique. Sont considérées comme telles, les normes privées qui constituent un substitut fonctionnel à une norme publique : c’est le cas par exemple, d’un règlement d'une association professionnelle investie d'un pouvoir réglementaire ou d’une convention collective de travail. 


    En l'espèce, les conditions générales de la banque ne sont pas un substitut fonctionnel à une norme publique : elles n'ont pas d'autre objectif que de préciser le cadre contractuel d'une offre d'un opérateur. Les dispositions du traité ne trouvent donc pas à s'appliquer.
    Le Collège rejoint par ailleurs les arguments présentés par la banque pour écarter l'application de la directive 2003/48/CE (2011/442/CE) et la recommandation 18 juillet 2011 relative à l'accès à un compte de paiement base pour les raisons évoquées ci avant.


 

  1. Une autre limite au principe de liberté du commerce résulte des dispositions de droit belge qui interdisent certaines formes de discrimination. Ainsi, dans le cadre de la lutte contre les discriminations fondées notamment sur le sexe, la race, la religion ou encore la nationalité, plusieurs lois ont été adoptées et refondues dans trois lois du 10 mai 2007 ("lois antiracisme et anti-discrimination").  Ces lois s'appliquent aux personnes du secteur privé notamment en ce qui concerne l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services à la disposition du public (voy. par ex. l’article 5, § 1, 1°, de la loi du 10 mai 2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie). Ces différentes lois ont pour objet d'interdire ou de réglementer les discriminations opérées sur base de la nationalité, d'une prétendue race, de la couleur de peau, de l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, du sexe, de l'âge, de l'orientation sexuelle, de l'état civil, de la naissance, la fortune, de la conviction religieuse ou philosophique, de la conviction politique, de la conviction syndicale, de la langue, de l'état de santé actuel ou futur, d'un handicap, d'une caractéristique physique ou génétique, de l'origine sociale.


    Le critère de discrimination qu'impose en l'espèce les conditions générales de la banque est le domicile fiscal.


    Le domicile fiscal est une notion de fait caractérisée par une certaine permanence ou continuité qui ne recouvre pas celle de domicile civil. On considèrera notamment différents facteurs tels que le domicile de la famille, le lieu où la personne doit accomplir ses prestations professionnelles, la conclusion d’un contrat de téléphonie, les factures d’électricité, l’immatriculation du véhicule,… Cette situation entraîne l'assujettissement de la personne aux lois fiscales du pays de résidence. Le critère de discrimination appliqué tend donc à réserver l'offre litigieuse aux personnes qui sont assujetties aux lois fiscales belges, quelque soit leur nationalité, dès lors qu’elles résident habituellement sur ce territoire.


    Le critère du domicile fiscal choisi par la banque n’est pas visé par les dispositions belges visant à lutter contre différentes formes de discrimination (sauf à considérer que ce critère choisi induise dans les faits une discrimination interdite ce qui ne ressort pas du dossier).



 

  1. La banque invoque les obligations particulières qui s'imposeraient à elle si elle traitait avec des clients qui seraient résidents fiscaux dans un autre état. La directive 2003/48/CE (2011/442/CE) impose ainsi un devoir d'identification du bénéficiaire des revenus et de son lieu de résidence ainsi qu'un devoir de communication aux autorités belges portant notamment sur les données d'identification et les intérêts payés.
    Le Collège constate que l'utilisation du produit par un résident fiscal étranger impose des prestations particulières, des responsabilités et des coûts supplémentaires. Dès lors que le produit est offert sur le marché à des conditions proches de la gratuité, il parait légitime qu'il soit structuré de manière à réduire tous les coûts directs ou indirects.
    Le domicile fiscal constitue donc un critère objectif, légitime et pertinent pour limiter l'accès d'un produit gratuit aux seuls utilisateurs présents de manière habituelle en Belgique afin d’éviter des coûts supplémentaires en cas de résidence habituelle en dehors du territoire belge. Le Collège constate en outre que le traitement différencié opéré par la banque n'est donc pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.


 

  1. Bien que la question n'ait pas été abordée, le Collège constate enfin, que le refus de contracter n'est pas en l'espèce le fait d'une société en situation de position dominante et qu'elle ne conduit donc pas à une distorsion du marché.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège estime que la banque ne viole aucune disposition légale en limitant l'accès à son compte internet aux seuls utilisateurs résidents fiscaux sur le territoire belge.

 

La demande n'est pas fondée.