Vorige

Conseil en placement – faute contractuelle – prescription

 

2010.1782

 

THEME

 

Conseil en placement – faute contractuelle – prescription.

 

AVIS

 

Présents :
Messieurs A. Van Oevelen, Président;

Messieurs F. de Patoul, P. Drogné, N. Claeys, L. Jansen, W. Van Cauwelaert, C.-G. Winandy, membres.

 

Date : 21 décembre 2010

 

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

En avril 1998 le requérant ouvre un livret d’épargne auprès de la banque. Au mois d’août 2000 l’agence de Woluwe lui propose de diversifier ses avoirs et de composer un portefeuille sur mesure. A cette occasion, cette agence établit son profil, qui était de type P2, c’est-à-dire très défensif.

 

Par une lettre du 23 août 2000 la banque adresse au requérant une proposition d’investissement pour un capital de 1.000.000 BEF. Dans cette lettre la banque écrit que cette proposition correspond au profil du requérant et a pour but de lui donner un rendement supérieur aux produits d’épargne traditionnels. Récapitulant les objectifs du requérant en matière d’investissement la banque poursuit que l’objectif est d’assurer sa sécurité financière tout en générant un accroissement de capital régulier à court, moyen, et long terme. La banque lui propose un investissement en fonds mixtes pour 20% et en actions pour 80%. Selon la banque cet investissement donne au requérant une perspective de placement de plus de cinq ans et une diversification de son portefeuille pour réduire le risque, ce qui permettra un accroissement plus important avec un objectif de croissance de 7% à 9% l’an.

 

Le requérant a accepté cette proposition et il a signé les bordereaux d’achat.

 

Dans les mois qui ont suivi le requérant a constaté que la valeur de son portefeuille baissait sensiblement, mais en mars 2001 et en septembre 2001 il a reçu une lettre de la banque lui conseillant de ne pas vendre ses titres parce qu’il faut considérer un tel investissement avec une perspective à long terme.

 

Sur conseil de l’agence le requérant a vendu en 2005 quasiment au prix coûtant des titres qu’il avait payé 4.625,47 euros.

 

En avril 2010, le requérant constate que le reste des titres qu’il détient et qu’il a acheté il y a dix ans pour 19.805,11 euro (= 24.430,58 – 4.625,58) ont une valeur de 10.795,87 euro, c’est-à-dire une moins-value de 8.009,24 euro, ce qui correspond à 45,49% de perte sur dix ans, tandis que la banque lui avait laissé miroiter dans sa lettre du 23 août 2000 un rendement de 7% à 9% l’an. Dans sa lettre à la banque du 22 juillet 2010, le requérant écrit que la valeur actuelle de son portefeuille est 10.058,28 euro, ce qui correspond à une baisse de 47,80%.

 

Le requérant reproche à la banque de lui avoir conseillé des investissements qui ne correspondaient pas à son profil défensif et qu’elle a sur cette base conclu avec lui des contrats d’investissement spéculatifs. Il demande à être dédommagé de son préjudice.

 

La banque est d’avis qu’elle a respecté le profil du requérant puisque les produits recommandés n’étaient pas des produits complexes, mais des sicav diversifiées de renommée internationale.

 

Comme deuxième argument, la banque invoque que le requérant, qui est comptable de profession, avait l’expérience et les connaissances nécessaires pour comprendre les risques relatifs aux investissements.

 

Enfin, la banque est d’avis que le requérant n’a pas réagi dans un délai raisonnable parce qu’elle lui a communiqué en 2000 et 2001 les pertes importantes subies par son portefeuille. Puisque la demande du requérant est basée sur la responsabilité extra-contractuelle de la banque, celle-ci estime que cette demande est prescrite aux termes de l’article 2262bis, § 1er, deuxième alinéa du Code civil selon lequel « toute action en réparation d’un dommage fondée sur une responsabilité extra-contractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable ».

 

II. AVIS DU COLLEGE DE MEDIATION

 

Le Collège est d’avis que le requérant reproche à la banque non seulement une faute extra-contractuelle en lui conseillant des investissements qui ne correspondaient pas à son profil, mais aussi une faute contractuelle. En effet, après la lettre de la banque du 23 août 2000 le requérant a accepté la proposition de la banque et signé les bordereaux d’achat, d’où il suit que des investissement ont été décidés dans le cadre de la relation contractuelle entre la banque et le requérant. Il s’ensuit que la demande du requérant n’est pas encore prescrite, parce que conformément à l’article 2262bis, § 1, premier alinéa du Code civil, cette action se prescrit par dix ans. Ce délai de prescription ne commence à courir qu’au moment où les conditions de la responsabilité contractuelle sont remplies, c’est-à-dire la faute contractuelle, le dommage et lien causal entre la faute et le dommage. En l’occurrence, le dommage n’est prouvé que depuis le mois de mars 2001.

 

Le Collège est d’avis que la banque a conseillé au requérant des investissements qui ne correspondent pas à son profil défensif et qu’elle a exécuté des ordres d’investissement dont elle savait ou devrait savoir que l’objet ne correspondait pas au profil du requérant. En effet, d’une part il résulte clairement de la lettre de la banque du 23 août 2000 que le requérant a un profil défensif (« Récapitulatif de vos objectifs en matière d’investissement : Assurer votre sécurité financière tout en générant un accroissement de capital régulier à court, moyen et long terme »);  d’autre part, la banque propose dans cette lettre au requérant d’investir pour 80% en actions, c’est-à-dire des produits à risque. Ensuite, le requérant a donné des ordres et la banque a exécuté ceux-ci dans la répartition qu’elle avait recommandée.

 

La banque invoque en vain que le requérant, qui est comptable de profession, avait à l’époque l’expérience et les connaissances nécessaires pour comprendre les risques relatifs aux investissements litigieux. Le travail d’un comptable consiste en effet à imputer des documents, comme des factures, à établir des tableaux d’amortissements, à valoriser des stocks et d’autres biens, et à établir des comptes annuels. Il est clair que ce travail n’a rien y voir avec les marchés financiers.

 

Le Collège estime que le requérant a aussi commis une faute parce qu’il n’a pas réagi dans un délai raisonnable après que la banque lui a communiqué en mars 2001 et en septembre 2001 les pertes importantes subies par son portefeuille. Il a attendu environ neuf ans avant de réagir, ce qui ne correspond pas à l’attitude d’un bon père de famille. Cette faute a pour moitié causé le dommage.

 

Le Collège est d’avis qu’il n’est pas possible de chiffrer exactement le dommage subi par le requérant. Le mode de dédommagement le plus équitable en l’espèce est :

 

  1. que le requérant restitue à la banque les titres qu’il a encore dans son portefeuille contre paiement par la banque de la valeur actuelle de ces titres qui peut être évaluée à 10.000 euro et
  2. que la banque lui paie à titre de dommages-intérêts une somme de 5.000 euro.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège est d’avis que la demande du requérant est recevable et fondée dans la mesure suivante :

 

  1. le requérant restitue à la banque les titres qu’il a encore dans son portefeuille contre paiement par la banque de la valeur actuelle de ces titres qui peut être évaluée à 10.000 euro;
  2. la banque paie en outre au requérant à titre de dommages-intérêts une somme de 5.000 euro.

 

La banque n’a pas suivi l’avis du Collège.