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Conseil en placement, notion de conseil

 

2008.2148

 

THEME

 

Conseil en placement, notion de conseil.

 

AVIS

 

Présents :
Messieurs A. Van Oevelen, Président;

Messieurs F. de Patoul, P. Drogné, N. Claeys, L. Jansen, W. Van Cauwelaert, C.-G. Winandy, membres.

 

Date : 16 juin 2009

 

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

Le requérant déclare s’être rendu le 1er octobre 2008 vers 14h30 dans l’agence de la banque où il disposait d’un compte pour y faire soit un achat d’or, soit un investissement en actions. Il déclare que son profil de risque dans toutes les banques où il est client est un profil de risque défensif. Il ajoute par ailleurs que sa fortune est essentiellement investie dans l’immobilier. Il a rencontré à l’agence un conseiller clientèle. Sur ses conseils, le requérant a donné un ordre d’achat d’actions pour une somme de 40.000 euros. N’ayant pas les liquidités sur son compte, il est retourné les prélever auprès d’un compte ouvert dans une autre banque. Il est revenu avec un chèque après 16h soit après la fermeture de l’agence. On lui a néanmoins ouvert et il a pu déposer le chèque. Il a ensuite quitté l’agence. L’opération a bien été passée le jour même mais le bordereau d’achat qui a été préparé après le départ du requérant, n’a jamais été signé. Le requérant a tenté de revendre les actions avec perte quelques jours plus tard. Il estime que la responsabilité de la banque est engagée : comme il n’a jamais signé le bordereau d’achat, il estime qu’il n’y a pas eu vente; d’autre part, la banque a commis une faute en lui donnant un conseil d’investissement sans dresser au préalable son profil de risque. Il demande que la banque prenne en charge la perte qu’il a subie.

 

La banque conteste avoir donné un conseil d’investissement. Elle expose que le requérant a voulu investir en or mais que les modalités particulières qu’il demandait pour la livraison, n’étaient pas possibles. Le requérant a choisi d’acheter des actions Fortis. S’agissant d’une décision prise de la seule initiative du client pour une action cotée sur un marché réglementé, la banque était en droit d’accepter l’ordre sans avoir à disposer d’un profil préalable et à vérifier l’adéquation de l’ordre par rapport au profil. La banque souligne par ailleurs qu’elle a pour règle de ne jamais émettre de recommandation sur l’achat de cette action. Elle ajoute que le bordereau n’a pu être signé avant l’exécution puisque le conseiller clientèle que le requérant avait rencontré était en rendez-vous lorsqu’il a déposé le chèque après la fermeture de l’agence. L’ordre a cependant été exécuté conformément aux instructions données. La banque estime donc qu’elle n’a commis aucune faute.

 

II. AVIS DU COLLEGE DE MEDIATION

 

 

1. Quant à l’achat d’actions

 

Le requérant ne conteste pas avoir verbalement donné l’ordre d’achat et il ne conteste pas que cet ordre ait été exécuté conformément aux instructions données. Un ordre d’achat de valeurs mobilières peut être valablement donné verbalement.

 

C’est donc à tort que le requérant soutient qu’il n’y a pas eu d’achat au motif qu’il n’a pas signé le bordereau d’achat.

 

2. Quant au conseil qu’a ou aurait donné la banque

 

2.1. Le cadre légal

 

Les parties sont contraires en fait quant au conseil que l’un affirme avoir reçu et que l’autre conteste avoir donné.

 

Le Collège constate que le litige se déroule dans le cadre de la législation entrée en vigueur le 1er novembre 2007 en application de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers.

 

Les règles suivantes sont donc d’application au présent litige :

 

  • Un conseil en investissement est, selon l’article 46, 9°, de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et contrôle des entreprises d’investissement, défini comme suit: la fourniture de recommandations personnalisées à un client, soit à sa demande, soit à l’initiative de l’entreprise d’investissement, en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers. Une recommandation personnalisée est définie par cette même loi comme une recommandation qui est présentée comme adaptée à cette personne, ou est fondée sur l’examen de la situation propre à cette personne, et qui recommande la réalisation d’une opération relevant des catégories suivantes :
  • l’achat, la vente, la souscription, l’échange, le remboursement, la détention ou la prise ferme d’un instrument financier particulier;
  • l’exercice ou le non-exercice du droit conféré par un instrument financier particulier d’acheter, de vendre, de souscrire, d’échanger ou de rembourser un instrument financier.

Une recommandation n’est pas réputée personnalisée si elle est exclusivement diffusée par des canaux de distribution au sens de l’article 2, alinéa 1er, 26°, de la loi du 2 août 2002, ou est destinée au public.

 

  • Un professionnel ne peut donner un conseil en investissement à un client sauf s’il a au préalable établit le profil d’investisseur de ce client (article 27, § 5, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers – article 16 de l’arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers).
  • Ce profil doit notamment enregistrer les connaissances et l’expérience du client en matière d’investissements en valeurs mobilières.
  • Le conseil donné par le professionnel doit être congruent au profil du client.
  • Un client est libre de passer des ordres de sa propre initiative et sous sa propre responsabilité sans que le professionnel ait à s’interroger sur l’opportunité de l’opération pour autant que cette opération porte sur des produits financiers réputés non complexes, à savoir des actions, des euro-obligations, des fonds ouverts (article 27, § 6 de la loi).

 

Il convient donc d’apprécier en l’espèce les obligations de la banque selon qu’un conseil a ou non été donné.

 

2.2. Si aucun conseil n’a été donné

 

Le Collège relève que l’action est une valeur admise à la négociation sur un marché réglementé et qu’en conséquence, il s’agit d’un produit non complexe que le client peut acquérir de sa propre initiative et sans que le professionnel ait à apprécier la décision d’investissement.

 

Le Collège observe que le 1er octobre 2008, le sort de cette action occupait l’attention de tous les médias écrits, parlés et télévisés. La crise du subprime, ses répercussions sur la solvabilité des banques et la chute dramatique du cours de l’action faisaient les premières pages de la presse écrite et le sujets principaux des journaux parlés et télévisés. Au cours du week-end précédent, devant cette évolution catastrophique et le risque de défaillance, les gouvernements belges, néerlandais et luxembourgeois avaient pris des mesures exceptionnelles pour fournir au groupe émetteur de l’action les liquidités indispensables à l’exercice de ses activités. Le requérant – qui se présente par ailleurs comme journaliste indépendant - ne peut prétendre avoir ignoré ces informations et ce d’autant moins, qu’il admet s’être interrogé sur l’opportunité de saisir la chute du cours pour investir dans cette valeur.

 

Si l’action avait eu pendant de nombreuses années la réputation d’être une action « de bon père de famille », elle était devenue, depuis l’effondrement du cours et le développement de la crise du subprime, une valeur à haut risque. Tout investissement dans cette valeur, le 1er octobre 2009, avait d’évidence un caractère spéculatif qu’un investisseur même occasionnel ne peut prétendre avoir ignoré. Le Collège ne peut donc suivre l’argumentation du requérant lorsqu’il écrit : « Je croyais que c’était des actions de bon père de famille » (mail du 27 octobre 2008).

 

Quand bien même cela serait, le Collège constate que, dans le cadre de la législation applicable et en dehors de l’hypothèse où un conseil aurait été donné, la banque n’avait aucune obligation d’apprécier (et donc en l’espèce, de déconseiller) la décision du requérant d’acquérir ces actions et ce malgré le caractère hautement spéculatif de cet investissement à la date où le requérant l’a décidé.

 

Il en résulte que si aucun conseil n’a été donné, le requérant ne peut faire valoir aucun grief envers la banque.

 

2.3. Un conseil a-t-il été donné ?

 

Le requérant soutient cependant qu’il a demandé et reçu un conseil de la banque laquelle l’aurait conforté dans son projet d’acquérir les valeurs litigieuses. La banque le conteste.

 

Le requérant invoque d’abord le fait que la personne qui l’a reçue porte le titre de conseiller clientèle. La banque fait observer qu’en réalité le requérant a rencontré non pas une mais deux personnes et que le seul fait pour son préposé de porter le titre d’une fonction ne constitue pas la preuve que ce préposé a effectivement donné un conseil d’investissement.

 

Le Collège relève que :

 

  • le requérant est client de plusieurs banques puisqu’il écrit : « Mon profil de risque dans toutes les banques où je suis client est un profil de risque défensif. » Même s’il ajoute que l’intégralité de son capital est placé dans l’immobilier, il semble donc disposer d’un patrimoine appréciable et d’une certaine habitude du secteur financier.
  • le requérant a choisi d’exécuter l’opération avec une banque avec laquelle il n’avait pas l’habitude de passer des opérations de bourse dans la mesure où il n’y disposait pas de compte titre, qu’aucun profil investisseur n’avait été établi et qu’il n’y disposait même pas des liquidités pour exécuter l’ordre qu’il envisageait de passer.
  • Le requérant s’est présenté avec le projet d’investir soit en lingots d’or soit en actions. Le choix s’est cependant réduit aux seules actions puisqu’il n’a pu obtenir le conditionnement des lingots qu’il demandait. Il est donc certain qu’il n’a pas demandé un conseil en investissement de portée générale au regard d’un capital disponible et d’une situation patrimoniale déterminée. Il prétend simplement avoir demandé un avis sur l’opportunité d’investir dans une valeur déterminée dont le caractère spéculatif était alors de notoriété publique.
  • Le requérant déclare avoir demandé un avis sur l’opportunité d’achat vu le cours assez bas de l’action. Il affirme que la préposée de la banque lui a confirmé que c’était une bonne affaire vu le cours assez bas de l’action. Il s’en déduit que la motivation du requérant était de saisir rapidement une opportunité de cours dans une perspective de profit après redressement du cours.
  • Le requérant a choisi de procéder à l’investissement dans la précipitation au point de retourner sur le champ auprès d’une autre banque pour revenir dans l’heure avec un chèque bancaire pour provisionner l’ordre d’achat.

 

Le Collège considère qu’il résulte de l’ensemble des considérations de fait et singulièrement de la précipitation dont a fait preuve le requérant, que l’investissement a été fait en connaissance de cause, dans l’espoir d’un profit important escompté à bref délai.

 

Dans la mesure où la banque conteste avoir donné le conseil, où il s’agit d’un produit non complexe dont l’évolution préoccupante était connue de tous, et dans la mesure où les circonstances de fait mettent en évidence la détermination personnelle du requérant à procéder à l’investissement dans l’urgence, le Collège estime que la preuve d’un conseil n’est pas rapportée.

 

En outre et à supposer même qu’un conseil ait été donné, le Collège relève que le fait qu’une valeur ait un caractère hautement risqué n’interdit pas pour autant à une banque d’en proposer l’acquisition pour autant que le client soit conscient du risque qu’il prend et que ce risque reste dans les limites du profil de l’investisseur. En l’espèce, le risque était notoire et l’investissement pouvait notamment se justifier afin d’améliorer le rendement d’un patrimoine que le requérant reconnaît avoir investi en totalité de manière très conservatrice. Ainsi, et à supposer même que le requérant ait été conforté par le préposé de la banque dans sa décision d’acquisition, il n’est pas démontré qu’en l’espèce ce conseil était indubitablement erroné.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège considère la plainte du requérant recevable mais non fondée.