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Conseil en placement pas en adéquation avec les objectifs et le profil de placement – rente mensuelle.

 

2011.1620

 

THEME

 

Conseil en placement pas en adéquation avec les objectifs et le profil de placement – rente mensuelle.

 

AVIS

 

Présents :
Messieurs A. Van Oevelen, Président;

Madame  M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres.
Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 17 avril 2012

 

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

Dans le courant de 2004, la requérante procède en faveur de sa fille à la donation en nue-propriété de son portefeuille titres dont la conservation est confiée à la banque.

 

En janvier 2007, la requérante s’adresse à la banque afin de structurer le portefeuille d’une valeur de € 1.700.000, au moyen de placements permettant de générer une rente mensuelle de € 6.000 sur une période de dix ans. Sur base des conseils livrés par la banque, il est convenu d’opter pour la formule de placement suivante :

 

  1. € 620.000 sont consacrés à la constitution d’un compte à terme rubriqué en vue de garantir la rente jusqu’au terme de la période considérée ;
  2. le solde, soit € 1.080.000, est affecté à la souscription de 1963 parts de la sicav (L). Cette sicav investit à la fois en actions, en obligations et en fonds au sein de la zone euro en vue de réaliser une croissance du capital à long terme. Son horizon de placement est de 5 ans minimum et son indice de risque se situe au niveau 3, c’est-à-dire au milieu d’une échelle de 7 classes de risques échelonnées de 0 à 6.

 

Le 1er avril 2008, le profil d’investissement de la requérante est établi à l’appui d’un questionnaire et en collaboration avec l’employé de la banque qui avait conseillé les placements réalisés en 2007. Le profil proposé par la banque et approuvé par la requérante est qualifié de « Secure »; ce type de profil relève de la catégorie au sein de laquelle les placements du portefeuille sont considérés comme les moins risqués et de nature essentiellement défensifs. Le profil retenu résulte des réponses que la requérante a données à l’ensemble des questions posées par la banque, et en particulier à la première question où elle indique qu’un placement doit avant tout me garantir mon capital, quitte à ne pas avoir la possibilité d’obtenir des performances substantielles.

 

Aucune action n’est entreprise au niveau du portefeuille de la requérante avant le 18 juin 2008.

 

Au cours de la période s’étalant de mi-juin à mi-octobre 2008, la requérante marque son accord sur des opérations qui lui sont présentées par l’employé de la banque dans le cadre d’un conseil en investissement. Ces opérations consistent à arbitrer progressivement la totalité des sicavs (L) en faveur de parts de capitalisation de la sicav (B) portant sur les compartiments Personal Structured Yellow July et October. Leur horizon de placement est de 4 ans minimum et leur indice de risque se situe au niveau 2 sur une échelle de 7 classes de risques échelonnées de 0 à 6. La politique d’investissement des compartiments vise deux objectifs :

 

  1. une valeur minimale à chaque date anniversaire de 90% de la VNI constatée à la date d’évaluation annuelle précédente;
  2. la constitution d’une plus-value annuelle correspondant à une participation dans la performance positive de la stratégie d’investissement.

 

Le 10 mars 2011, la requérante adresse à la banque une lettre de plainte visant la qualité des conseils d’investissements reçus de la banque jugés non conformes à son profil d’investisseur, et visant par ailleurs la très mauvaise performance des compartiments de la sicav (B).

 

Dans les mois qui ont précédé le dépôt de sa plainte auprès de la banque, la requérante a ordonné le transfert de son portefeuille auprès d’une autre institution financière et elle a par ailleurs pris l’initiative de présenter au remboursement toutes les parts de la sicav (B) qu’elle détenait.

 

Estimant ne pas avoir reçu de réponses satisfaisantes de la banque suite à sa plainte, la requérante s’est adressé au Service de Médiation par courrier daté du 1er septembre 2011.

 

Le point de vue de la requérante

 

Les principaux griefs avancés dans sa plainte par la requérante sont les suivants :

 

  1. Les sicavs recommandées par la banque correspondent à un profil de risque « Balanced » alors que le profil d’investisseur défini en avril 2008 concluait à un profil « Secure » se situant deux niveaux plus bas sur l’échelle de risque utilisée en interne par la banque pour ce produit. La requérante en conclut que ces sicavs ne pouvaient pas lui être proposées dans le cadre d’un conseil en investissement, et à tout le moins pas être maintenues dans son portefeuille après la qualification de son profil d’investissement établi en avril 2008;
  2. La sicav (B) étant classée par la banque dans la catégorie des produits structurés, la requérante soutient qu’aucune information claire et compréhensible ne lui a été fournie lors de sa souscription. De surcroît, ne disposant pas d’une connaissance et d’une expérience financière suffisantes pour comprendre la nature et les risques liés à ce produit, elle conclut à l’inadéquation de cet investissement. Lorsque la banque objecte que la requérante a détenu par le passé des produits structurés dans son portefeuille –ce qui tendrait à prouver son degré de connaissance et d’expérience en cette matière, la requérante fait valoir que les investissements de ce type ont été marginaux dans le passé, et certainement sans commune mesure avec le poids qui leur a été attribué lors des investissements réalisés en 2008;
  3. Compte tenu de l’importance des avoirs financiers confiés à la banque, la requérante estime qu’elle aurait dû être dirigée vers le Private Banking de la banque afin de bénéficier de la sorte de services adaptés à ses intérêts, ce qui a fait défaut dans le chef du conseiller en investissement de la banque avec qui elle était régulièrement en contact.

 

La requérante conteste par ailleurs l’argument avancé par la banque pour expliquer la présence d’investissements plus risqués dans son portefeuille. Dans son esprit, le capital mis de côté pour servir la rente étant destiné à être progressivement consommé, il était recommandé de ne plus prendre de risques au niveau du capital restant. Cette recommandation était, selon la requérante, expressément confirmée lors de l’établissement de son profil d’investissement en avril 2008, lequel a mis l’accent sur la priorité à donner à la garantie du capital. Le profil « Secure » qui en a découlé traduit, selon les termes employés par la banque sur les relevés de gestion transmis à la requérante, une gestion qui favorise les investissements en obligations (100% obligations – 0% actions). La requérante ajoute que les contraintes de gestion liées à son profil devaient exclusivement porter sur les avoirs non réservés au service de la rente; les liquidités bloquées à cette fin étant en effet appelées à diminuer progressivement, elles ne pouvaient en aucun cas être prises en compte pour autoriser une gestion plus dynamique du portefeuille.

 

Au motif que la banque a commis des fautes, la requérante réclame une indemnisation complète des pertes subies depuis le 1er avril 2008 sur la sicav (L) ainsi que des pertes subies sur la sicav (B).

 

Point de vue de la banque

 

La banque souligne qu’en souscrivant simultanément, en janvier 2007, au plan X et à la sicav (L), la requérante adhérait à une politique spécifique de placement visant à lui fournir une rente mensuelle en désinvestissant une partie de son capital, et en plaçant le solde disponible de ses avoirs dans un/des produits susceptibles d’atteindre, au terme d’une période de dix ans, un objectif de reconstitution ou de maintien de son capital initial. Compte tenu de la rente exigée et des conditions prévalant à l’époque sur le marché obligataire, cet objectif ne pouvait être rencontré que si ce solde disponible était en partie investi dans des produits plus productifs mais aussi plus risqués. La banque soutient que cette prise de risque était clairement exposée dans les contrats présentés à la requérante et que celle-ci en a compris et accepté le contenu. Dans ce cadre, le choix de la sicav mixte (L), composée à la fois d’actions et d’obligations, correspondait à l’objectif poursuivi.

 

La banque précise par ailleurs qu’en mars 2005, le profil d’investissement de la requérante a été établi en interne et qu’elle a classé son profil dans la catégorie « Moderated ». Même si elle confirme que la sicav (L) représente un produit d’investissement dont la répartition des actifs (50% actions-50% obligations) est proche d’un profil « Balanced ». La banque soutient que le choix de cette sicav cadrait néanmoins avec le profil « Moderated » de la requérante dès lors qu’il était tenu compte des liquidités constituées par ailleurs pour servir la rente. Elle ajoute qu’à la lumière des opérations conclues dans le passé par la requérante, la sicav retenue constituait aussi un produit d’investissement conforme à sa connaissance et son expérience.

 

Devant l’inquiétude exprimée par la requérante, au début 2008, quant à l’évolution défaillante de la performance de la sicav (L), la banque prend l’initiative de mettre à jour son profil d’investisseur en lui soumettant un questionnaire complété avec l’aide de l’employé de la banque avec qui elle entretenait des contacts réguliers. Ce questionnaire, élaboré conformément aux prescrits MIFID, conduit la requérante, le 1er avril 2008, à préciser d’emblée qu’un placement doit avant tout lui garantir son capital, quitte à ne pas avoir la possibilité d’obtenir des performances substantielles (Question 1 du questionnaire Profil d’Investissement Client de la banque).

Sur base de l’ensemble des réponses données au questionnaire cité ci-dessus, la banque conclut et la requérante accepte que le profil d’investissement relève désormais de la catégorie de risque « Secure », soit le niveau de profil de risque le plus défensif. La banque confirme qu’il s’indiquait dès lors de prendre des dispositions en vue d’adapter le portefeuille existant.

 

Les opérations conclues de juin à octobre 2008 en vue de sécuriser le portefeuille ont été présentées à la requérante à l’initiative de l’employé de la banque. Les parties ont à cette occasion convenu d’arbitrer les sicavs (L) en faveur d’un produit structuré ING(B) Collect Portfolio. La banque justifie par après le choix de ce produit en précisant que si le produit en cause n’est pas rubriqué « Secure », il faut toutefois conserver en mémoire que la cliente souhaitait toujours reconstituer son capital et qu’un investissement en produits « Secure » ne le permettait pas. ……., les produits en question étaient également susceptibles de dégager des plus-values intéressantes et garantissaient par contre un protection du capital investi. En l’occurrence, le produit « Yellow » souscrit garantissait une protection à 90%....... La banque souligne par ailleurs l’adéquation du produit structuré au vu des connaissances et expérience de la requérante en rappelant que l’historique de votre portefeuille titres nous montre que vous aviez déjà investi précédemment dans des produits similaires.

 

Faisant référence à l’art. 10 de son Règlement général des opérations, la banque s’étonne de la réaction tardive de la requérante dans cette affaire.

 

Dès lors que les investissements répondaient aux objectifs de la requérante, notamment celui de la rente exigée, à son profil, à ses connaissances et expérience, la banque estime ne pas avoir commis de faute et exclut tout dédommagement d’un préjudice qu’elle ne reconnait pas.

 

II. AVIS DU COLLEGE DE MEDIATION

 

C’est en vain que la banque soulève l’article 10 de son Règlement général des opérations lequel précise que les réclamations concernant une opération traitée par la banque doivent être notifiées par écrit dans un délai raisonnable et au maximum dans les 60 jours.

 

Le Collège constate qu’en l’espèce la requérante ne conteste pas les opérations en tant que telles, mais les conseils qui lui ont été donnés et qui l’ont amenée à souscrire aux valeurs litigieuses.

 

La requérante a réagi dans un délai raisonnable dès qu’elle a pris conscience des fautes qu’elle impute à la banque. La plainte est donc recevable.

 

Le Collège observe ensuite qu’il existe a posteriori une totale divergence de vue entre les parties quant aux intentions et objectifs de la requérante au moment de la mise en place, en janvier 2007, de la stratégie d’investissement visant à profiler un portefeuille au départ d’une exigence de rente mensuelle au bénéfice de la requérante :

 

  • La banque affirme que l’objectif convenu était de reconstituer au terme d’une période de dix ans le capital initial tout en assurant le paiement de la rente sur la même période. Un tel objectif ne pouvait être rencontré qu’en investissant une partie des avoirs en actions ;
  • La requérante prétend, lors du dépôt de sa plainte, que son souhait était qu’aucun risque ne devait être pris au niveau du capital disponible après réservation du capital nécessaire à la rente. Selon elle, son souci était dès lors d’assurer le maintien de ce capital disponible.

 

Le Collège n’entend pas se prononcer sur la divergence de vue dont chaque partie fait état quant aux objectifs et à la stratégie convenus et mis en place en janvier 2007 : il estime, d’une part, ne pas disposer d’éléments suffisamment probants à cet égard, et il prend acte, d’autre part, de ce que la requérante ne conteste pas les opérations réalisées antérieurement au 1er avril 2008. Le Collège estime par conséquent ne pas être saisi de cet aspect du différend.

 

Le Collège estime toutefois que la divergence de vue évoquée ci-dessus doit être analysée sous un éclairage nouveau à partir du 1er avril 2008, date à laquelle le profil d’investissement de la requérante est formellement établi par la banque. Le nouveau profil défini est du type « Secure », c’est-à-dire le profil le plus défensif qui découle de la déclaration de la requérante qu’un placement doit avant tout me garantir mon capital, quitte à ne pas avoir la possibilité d’obtenir des performances substantielles. A la lecture du questionnaire utilisé par la banque, le Collège note par ailleurs que la requérante n’a pas retenu l’option bien que je privilégie la sécurité, je suis prêt à prendre des risques limités pour améliorer les performances.

 

Le Collège considère que la banque est tenue par les réponses fournies au questionnaire de profil qui, dans le cas présent, traduisent dans le chef de la requérante une volonté d’exclure toute prise de risque au niveau de ses placements. Au motif que la requérante a déclaré être disposée à prendre en considération de nouvelles stratégies ou opportunités d’investissement, la banque ne peut pas s’écarter du profil qu’après avoir préalablement invité la requérante à le modifier et en s’assurant que la modification corresponde bien à la réalité. Et si la banque persistait à croire que la requérante privilégiait encore une stratégie de reconstitution du capital initial, laquelle impliquait une prise de risques, il lui incombait de relever formellement cette contradiction eu égard à la priorité désormais imposée par la requérante.

 

Le profil d’investissement de la requérante ayant été établi le 1er avril 2008, le Collège s’étonne du délai pris pour ajuster son portefeuille afin de le rendre conforme au nouveau profil. Ce délai est surprenant alors que plusieurs éléments étaient de nature à justifier une action plus proactive de la part de la banque, d’autant plus que celle-ci déclare qu’il s’indiquait dès lors de prendre des dispositions en vue d’adapter le portefeuille existant :

 

  • La requérante avait manifesté son inquiétude face aux mauvaises performances de la sicav (L);
  • Les marchés boursiers traversaient une période caractérisée par une hausse marquée de la volatilité et donc du risque;
  • La banque a précisé que la requérante rencontrait son Personal Banker une fois par semaine;
  • La sicav (L) correspondait à un profil « Balanced » se situant à deux degrés de risque supérieurs au risque de profil de la requérante.

 

S’agissant des opérations réalisées de la mi-juin à la mi-octobre 2008 pour sécuriser le portefeuille, le Collège considère qu’en l’espèce la banque a fourni un service qui constitue un conseil en investissement. Dans cette mesure, l’article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002, prescrit à la banque de s’assurer du caractère adéquat de l’instrument qu’elle recommande. Le Collège est d’avis que la sicav (B), qualifiée de produit structuré, ne constitue pas un produit adéquat au regard du profil et des objectifs d’investissement de la requérante tels que définis en avril 2008 :

 

  • Le produit n’est pas rubriqué « Secure » par la banque ;
  • Le produit fait état d’une garantie du capital très aléatoire dès lors que le compartiment « Yellow » retenu pour le placement vise à atteindre une valeur minimale de la part à chaque date anniversaire de 90% de la valeur nette d’inventaire constatée à la date d’évaluation annuelle précédente. On ne peut donc pas assimiler cette forme de garantie aléatoire à celle précisée par la requérante comme devant prévaloir pour ses placements.

 

Le Collège ne peut pas davantage suivre l’argumentation de la banque tirée du fait que l’historique du portefeuille de la requérante montre qu’elle avait déjà investi précédemment dans des produits structurés. Le Collège estime à cet égard que le niveau de connaissance et d’expérience  ne peuvent pas justifier une inadéquation du produit de placement conseillé par rapport aux objectifs de la requérante.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège considère la plainte comme recevable et fondée.

 

Il constate que la banque, à partir d’avril 2008, a conseillé des investissements qui n’étaient pas en adéquation avec les objectifs et le profil de placement de la requérante.

 

Le Collège invite la requérante à préciser ce qu’il est advenu des valeurs litigieuses et à évaluer son préjudice en produisant toutes les pièces justificatives nécessaires.

 

Le Collège invite la banque à formuler une proposition d’indemnisation sur base des précisions qui seront fournies par la requérante.

 

Le Collège statuera, le cas échéant, à défaut d’accord entre les parties.