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Conseils en placement, notion de conseil, test d’adéquation

 

2010.1346

 

THEME

 

Conseils en placement, notion de conseil, test d’adéquation.

 

AVIS

 

Présents :
Messieurs A. Van Oevelen, Président;

Madame  M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs P. Drogné, N. Claeys, L. Jansen, W. Van Cauwelaert, C.-G. Winandy, membres.

 

Date : 18 octobre 2011

 

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

  1. Le requérant dispose d’un compte-titre auprès de la banque. Il a rempli en novembre 2007 un questionnaire pour dresser son profil. Ce questionnaire montre un horizon d’investissement à court terme (Prévoyez vous d’importantes dépenses dans le futur ? réponse : oui, endéans les 2 ans), confirmé par l’objectif de l’investissement (accroître les revenus actuels). Le requérant déclare connaître et avoir de l’expérience pour les comptes d’épargne, les actions et l’immobilier. Par contre, il déclare n’avoir ni connaissance ni expérience en produits dérivés. Enfin, il déclare connaître mais n’avoir aucune expérience pour les Sicav , produits obligataires et produit à capital garanti.

 

Quant à l’acceptation des risques et ayant le choix entre trois possibilités, le requérant a coché la position médiane : Je suis prêt à prendre un peu plus de risque pour un rendement plus élevé. Un peu plus de risque s’apprécie par rapport à la position inférieure: la sécurité des mes placements est primordiale . Il confirme par ailleurs ce choix en approuvant l’affirmation Je me limite au rendement du marché des actions ou fonds d’action.

 

Enfin, le requérant déclare disposer de plus de 200.000 euros d’avoirs mobiliers.

 

  1. Le 11 juin 2008, la banque adresse au requérant à son adresse et à son attention personnelle (Cher Monsieur X), un courrier lui proposant de souscrire à un instrument financier.  La lettre comporte un intitulé en grands caractères et en gras : "... Faites décoller votre épargne ! Objectif: 19% par an".

 

La lettre précise : Depuis juillet 2007, les marchés actions sont entrés dans une zone de turbulence, qui trouve son origine sur le marché immobilier américain et qui s’est propagée sur les marchés financiers. Paradoxalement, cette baisse généralisée des marchés crée un certain nombre d’opportunités. En particulier, elle permet aux investisseurs avisés de se positionner sur des valeurs de première qualité, dont le cours a fortement chuté pendant ces dernier mois, suite au mouvement de baisse généralisé.

 

La lettre met en caractère gras en évidence trois caractéristiques de l'instrument :

 

  • un coupon annuel conditionnel de 19%
  • une possibilité de remboursement anticipé de chaque année
  • Une protection du capital conditionnelle à l'échéance

 

Quant à ce dernier point, la lettre précise Si aucune des actions n'est en baisse de plus de 50% à l’échéance, vous récupérerez 100% à l'échéance.

 

La lettre précise en outre : Découvrez dès maintenant les informations détaillées liées à ce produit dans la brochure jointe.

 

La lettre se termine par une invitation à souscrire libellée comme suit : Prêt à investir ? Souscrivez dès aujourd'hui à [nom du produit] la période de souscription court jusqu'au 30 juin 2008. Pour faire croître votre épargne grâce à cette formule, il vous suffit de renvoyer le coupon-réponse ci-joint ou de téléphoner à votre conseiller financier au [n° de téléphone].Vous pouvez également envoyer un mail à [adresse mail].

 

  1. Le requérant affirme par ailleurs avoir été démarché par un employé de la banque, le sieur K., qui lui aurait vivement conseillé d’investir dans l’instrument financier litigieux. La banque n’est pas en mesure de préciser les circonstances de la souscription : les opérations se sont déroulées dans le cadre d’une société qu’elle a absorbée depuis lors et le sieur K ne semble plus faire partie de son personnel.

 

  1. Le requérant a souscrit à l’instrument qui lui était présenté pour un montant de 100.000 euros. Deux mois plus tard, ayant constaté une forte chute de valeur, le requérant a demandé à la banque de vendre. Il affirme que la banque le lui a déconseillé. A la suite de la crise financière, le produit semble avoir perdu toute valeur.

 

  1. Le requérant fait grief à la banque :

 

  • De n’avoir pas respecté le principe de diversification
  • De ne pas l’avoir informé correctement; il affirme n’avoir jamais reçu la brochure dont question dans la lettre de présentation de l’instrument financier litigieux.
  • D’avoir poussé ses propres produits à la vente dans des conditions inacceptables
  • De ne pas avoir respecté son profil de risque.

 

Le requérant demande que la banque lui rembourse son investissement.

 

  1. La banque estime que la lettre du 10 juin 2008 adressée au requérant ne peut être considérée comme une recommandation personnalisée. Il s'agissait pour la banque d'informer ses clients de l'existence et des caractéristiques d'un nouveau produit dont la description détaillée figurait dans la brochure jointe au courrier.

 

C'est donc de sa propre initiative que le requérant a décidé d'investir dans le produit X pour un montant de 100.000 euros. La banque en déduit que l'investissement a été réalisé dans le cadre d'un service de réception-transmission d'ordres (le régime « execution only » de l’article 27, § 6, de la loi du 2 août 2002) et non dans le cadre d'un service de conseil en investissement (article 27, § 4, de la même loi).

 

La banque relève par ailleurs que le requérant avait une expérience boursière lui permettant d'apprécier le risque du produit. Elle argue que dans ses réponses au questionnaire pour établir son profil d'investisseur, le requérant avait déclaré avoir connaissance des produits dérivés et que de surcroît, en l’espèce, il ne s’agit pas d’un produit dérivé mais d’un produit structuré.

Elle considère que la plainte est en réalité motivée par la perte enregistrée ce qui ne constitue pas en soi la preuve d’un manquement de sa part.

 

II. AVIS DU COLLEGE DE MEDIATION

 

  1. Le Collège constate que l’instrument financier ne pouvait être vendu par la banque sous le régime «execution only» régi par l’article 27, § 6, de la loi du 2 août 2002. Les conditions requises pour l’application de ce régime ne sont en effet pas réunies :
    • Il ne s’agit pas d’un instrument financier non complexe ;
    • le service n’a pas été fourni à l’initiative du client mais à la suite d’une sollicitation de la banque (voir la lettre du 11 juin 2008) ;
    • le client n’a pas reçu la mise en garde requise (absence de contrôle du caractère approprié de l’instrument).

 

Il convient dès lors de déterminer si le service fourni est en l’espèce un conseil en investissement au sens de l’article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002 ou un autre service régi par l’article 27, § 5, de la même loi.

 

  1. Le conseil en investissement est défini à l’article 49, 9°, de la loi du 6 avril 1995 comme la fourniture de recommandations personnalisées à un client, soit à sa demande, soit à l’initiative de l’entreprise d’investissement et qui concernent une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers.

 

Le terme recommandation s’applique à l’information produite par une entreprise de crédit qui directement ou indirectement, exprime une recommandation d’investissement déterminée concernant un instrument financier (articles 2, 24° et 25°, b, de la loi du 2 août 2002).

 

Par recommandation  personnalisée on entend une recommandation qui est présentée comme adaptée à cette personne,(…). Cette même disposition précise qu’Une recommandation n'est pas réputée personnalisée si elle est exclusivement diffusée par des canaux de distribution au sens de l'article 2, alinéa 1er, 26°, de la loi du 2 août 2002, ou est destinée au public (article 46, 10°, de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d’investissement).

 

  1. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si la lettre adressée au requérant peut être considérée comme une recommandation personnalisée et si le fait d’avoir été adressée à toute la clientèle, constitue un envoi par un canal de distribution excluant le caractère personnalisé.

 

Dans l’appréciation de ces notions issues des directives européennes, le Collège se fonde sur les considérations émises par le Committee of European Securities Regulators (CESR) notamment dans le document « Understanding the definition of advice under MiFID », Questions & Answers, 19 avril 2010, CESR/10-293.

 

Pour déterminer s’il y a ou non conseil en investissement, le CESR recommande un raisonnement en 5 questions abordées ci-après.

 

  1. Il y-a-t-il recommandation ?

 

Le CESR relève que la recommandation comporte l’expression d’une opinion. Elle est opposée à l’information laquelle comporte des énoncés de fait ou des chiffres (statement of fact or figures). Alors qu’une entreprise peut ne pas avoir l’intention de fournir une recommandation à un client, il peut s’avérer qu’elle agit bien dans ce sens si elle laisse l’information devenir subjective en manière telle qu’elle conduit le client à choisir tel produit particulier plutôt qu’un autre (Voy. CESR, op. cit., n°14, 15 et 16, p. 7). La caractéristique de la recommandation est donc qu’elle tend à inciter le client à un comportement ou à une action.

 

Au vu des dispositions légales pré-rappelées et des orientations données par le CESR, le Collège considère que le courrier adressé le 11 juin 2008 constitue une recommandation. La lettre ne se limite pas à l’énoncé de faits et de chiffres mais reflète également l’opinion positive de la banque (Faites décoller votre épargne !; la baisse généralisée des marchés créée un certain nombre d’opportunités; elle permet aux investisseurs avisés de se positionner sur des valeurs de première qualité ; Pour bénéficier de cette opportunité intéressante souscrivez avant le 30 juin 2008 ; etc). Le ton du courrier et les termes utilisés reflète l’opinion positive de la banque sur le produit qu’elle suggère à ses clients de souscrire. Cette communication entend convaincre le client d’adopter une attitude précise.

 

Le Collège considère par ailleurs qu’il importe peu qu’à côté de la recommandation reprise dans la lettre, la banque ait joint une brochure (que cependant le requérant conteste avoir reçue) qui aurait un caractère objectif. Dès lors qu’il y a recommandation, et pour autant que les autres critères (évoqués ci-après) soient réunis, l’article 27, § 4, s’applique quand bien même, le client de détail recevrait-il, en outre, des informations objectives.

 

  1. La recommandation porte-t-elle sur un instrument financier au sens de l’article 2, 1°, de la loi du 2 août 2002 ?

 

Le Collège constate que cette question appelle une réponse positive.

 

  1. Cette recommandation est-elle présentée comme adaptée à la personne ?

 

Selon le CESR, même en l’absence d’une formulation expresse (This product would be the best option for you) un instrument financier peut être implicitement présenté comme adapté parce que la communication cherche à induire le client à prendre une décision en rapport avec cet instrument spécifique (CESR, op. cit., n°45, p. 11).

 

Le Collège constate que la lettre du 11 mai 2008 est adressée nominativement (Cher Monsieur X) comme un courrier destiné à un investisseur spécifiquement choisi. Elle utilise le mode impératif qui est traditionnel pour l’expression d’un ordre ou d’une incitation. La communication encourage la souscription en proposant divers modes simplifiés de souscription notamment sous forme de coupon-réponse. Elle comporte un PS précisant Pour bénéficier de cette opportunité intéressante souscrivez avant le 30 juin 2008. Il s’agit bien d’une recommandation dont le requérant pouvait retirer la conviction qu’elle était adaptée à sa personne.

 

  1. La recommandation est-elle émise autrement qu’exclusivement par l’intermédiaire d’un canal de distribution ou au public en général ?

 

Pour apprécier si un mailing adressé simultanément à plusieurs clients constitue un conseil en investissement, le CESR (op. cit., sp. n° 68 à 70) recommande de considérer plusieurs éléments : le public cible (par exemple, s’agit-il de clients sélectionnés), le contenu du message ( le message contient-il une sollicitation, une recommandation, une opinion ou un jugement quant à l’opportunité de l’opération auquel cas le mailing est un conseil en investissement) et enfin le ton du message et la manière dont il peut être ressenti par le client.

 

Pour les raisons évoquées ci avant, le Collège considère qu’il s’agit en l’espèce d’un conseil en investissement et non d’une communication adressée exclusivement par un canal de distribution ou au public en général.

 

  1. La recommandation vise-t-elle un investisseur ou un investisseur potentiel ?

 

Le Collège constate que la lettre du 11 juin 2008 a bien été adressée au requérant en sa qualité d’investisseur.

 

  1. Dès lors que les cinq questions-test appellent une réponse positive, le Collège considère qu’en l’espèce la banque a fourni un service qui constitue un conseil en investissement. Dans cette mesure, l’article 27, § 4, de la loi 2 août 2002, imposait à la banque de s’assurer du caractère adéquat de l’instrument qu’elle recommandait. Le caractère adéquat s’apprécie au regard du profil du client et plus spécifiquement, de ses connaissances, de son expérience, de sa situation de fortune et de ses objectifs de placement. L’article 15, § 1, c), de l’arrêté royal du 3 juin 2007 impose ainsi à la banque de s’assurer sur base des informations recueillies auprès du client, que la transaction qu’elle entend recommander (…) est telle que le client possède l’expérience et les connaissances nécessaires pour comprendre les risques inhérents à la transaction.

 

  1. En remplissant le questionnaire destiné à définir son profil, le requérant a indiqué qu’il n’avait ni expérience ni connaissances en matière de produits dérivés. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres critères du test, le Collège constate que l’instrument recommandé ne satisfait pas au test de suitability requis par l’article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002.

 

Le Collège ne peut suivre à cet égard l’interprétation de la banque tirée du fait qu’un premier choix a été barré sur le formulaire par le requérant. A supposer qu’un doute ait pu subsister quant au choix définitif (ce qui n’est pas le cas), il appartenait à la banque de faire préciser la déclaration du requérant avant de fournir le service.

 

Le Collège ne peut davantage suivre l’argumentation de la banque tirée du fait que l’instrument financier serait un produit structuré et non un produit dérivé. Le produit structuré est une combinaison au moins aussi complexe qu’un produit dérivé et dont en outre, l’une des composantes est très souvent un produit dérivé. Si la banque entendait traiter différemment les produits dérivés et les produits structurés, il lui appartenait d’introduire une distinction dans le questionnaire de profil et s’assurer des connaissances du client à cet égard. En tout état de cause et quelle que soit la qualification technique, c’est un produit complexe qui ne pouvait être vendu sous le régime execution only au sens de l'article 27, § 6, de la loi du 2 août 2002.

 

La banque entend également justifier la connaissance et l’expérience du client en invoquant des investissements effectués avant la remise du profil et l’entrée en vigueur des dispositions MiFID.

 

Le Collège considère que la banque est tenue par les réponses fournies au questionnaire de profil. Le requérant a exprimé qu’il n’avait ni expérience ni connaissance en matière de produits dérivés. Cette réponse peut être l’expression d’un choix conscient et délibéré pour orienter les stratégies et objectifs de placement. Il peut également et malgré des achats antérieurs, exprimer le fait que le client estime n’avoir pas une connaissance suffisante. En tout état de cause, la banque est tenue par les réponses qui lui ont été fournies. Elle ne peut s’écarter du profil qu’en invitant préalablement son client à le modifier et en s’assurant que la modification corresponde bien à la réalité.

 

  1. Le Collège estime en conséquence que la banque n’aurait pas dû adresser une recommandation de souscription au requérant pour l’instrument financier litigieux.

 

Il incombe à la banque d’indemniser le requérant des conséquences dommageables résultant pour lui de son investissement dans un produit qu’elle n’aurait pas dû lui recommander.

 

Il en est d’autant plus ainsi que le requérant fait valoir à juste titre qu’il ne connaissait pas le produit avant que la banque le lui recommande et qu’il n’aurait pas eu le moyen de le connaître, n’étant pas familier du monde financier.

 

  1. Le Collège considère que dans cette mesure, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres griefs formulés par le requérant (et notamment l’absence de diversification) ou le respect par la banque des autres règles légales notamment en matière d’information sur le service financier spécifique.

 

  1. Le requérant a également visé dans sa réclamation à la banque un autre produit d’une nature comparable dans laquelle il aurait investit une somme de 60.000 euros quelques mois auparavant. Dans la mesure où cette plainte n’est pas expressément réitérée auprès du Collège et dans la mesure où elle n’est étayée d’aucun document, le Collège estime ne pas être saisi de cet aspect du différend.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège considère la plainte comme recevable et fondée.

 

Il constate que l’instrument financier n’aurait pas dû être recommandé au requérant.

 

Le Collège invite la banque à faire une proposition adéquate au requérant pour compenser le dommage résultant de l’investissement dans un instrument financier inadéquat.

 

La banque n’a pas suivi l’avis du Collège.