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Crédits hypothécaires – Exécution du contrat – Décompte

2017.1183

 

THEME

 

Crédits hypothécaires – Exécution du contrant – Décompte

 

AVIS

 

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président ;

Messieurs E. Struye, J. Vannerom, R. Steennot, membres ;

Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 17 octobre 2017

 

1.       VOTRE PLAINTE

 

Vous êtes le conseil du demandeur et vous introduisez une plainte auprès d’Ombudsfin car :

 

Le 21 mai 1984, la banque a consenti un prêt hypothécaire au client pour une valeur de 84.283,80 euros.

 

En garantie, il a été pris une hypothèque sur un bien sis à Verviers.

 

Ce prêt a été dénoncé et l’immeuble servant de garantie a été saisi et vendu en 1990 pour un prix de 51.326,56 euros.

 

Dans le cadre de la vente, c’est la banque qui s’est vu adjugé la propriété et elle a ensuite revendu le bien pour 81.824,94 euros.

 

Le client conteste la dette et n’a jamais réalisé de paiement volontaire.

 

La société de recouvrement mandatée par la banque a adressé une mise en demeure le 19 décembre 2016 pour un total de plus de 300.000 euros demandant de régler ce montant dans les 15 jours.

 

Le client s’est étonné qu’il ne soit fait aucune application des délais de prescription.

 

Le créancier n’a du reste pas souhaité communiquer un acte d’exécution du mois de juin 2008 alors qu’il était sollicité à cet effet.

 

Le créancier a fait intervenir un huissier pour signifier une cession de salaire auprès du service fédéral des pensions (acte 17 mars 2017) pour un montant réclamé de 302.404 euros.

 

Cette démarche permettrait une récupération mensuelle de 49,57 euros mais elle n’apparaît pas conforme aux exigences légales. En effet, le créancier doit notifier la cession au travailleur, débiteur cédant concomitamment à la notification faite au débiteur cédé (l’employeur). Or le client n’a pas reçu notification en date du 17 mars dernier concomitamment à la notification faite à l’ONP.

 

2.       POSITION DE LA BANQUE

 

Pour rappel, en réponse à la plainte du client, la banque avait décidé à titre de geste commercial et afin de prouver sa bonne foi, d’appliquer la prescription quinquennale aux intérêts produits par la créance. Cette décision a eu pour effet de réduire considérablement la dette du client envers la banque.

 

Concrètement, suite à cette première concession de la part de la banque, la créance qui s’élevait en date du 05/05/2017 à 303.553,19 euros a été réduite à 221.044,63 euros à partir du 06/05/2017.

 

De plus, il a été décidé à titre de geste commercial exceptionnel que la créance ne serait plus productive d’intérêts à dater du 06/05/2017. En d’autre terme, le taux d’intérêt appliqué de 12% (taux de base de 11,5%+0,5% de majoration) a été ramené à 0%.

 

Au 25/08/2017, la créance détenue par la banque s’élevait donc à 220.674,40 euros.

 

Vous sollicitez à présent la décharge du client de ses engagements pris envers la banque. L’examen du dossier du client ne révèle aucun élément qui justifie que la banque réserve une suite favorable à cette requête.

 

Voici un bref récapitulatif des principaux faits de ce dossier pour la période antérieure à la plainte du 21/08/2017 :

·         Suite à la vente de la garantie hypothéquée, des paiements ont été effectués entre le 04/04/1990 et le 23/07/1992 sur le compte hypothécaire.

·         En date du 21/09/1994 et par acte de l’huissier de justice, le client a été sommé de prendre connaissance du procès-verbal d’ordre. Cet acte n’a fait l’objet d’aucun contredit de la part du débiteur.

·         Après la clôture du dossier auprès du notaire chargé de la vente en date du 03/11/1994, des courriers ont été adressés au client en date des 11/09/1995 et 05/10/1995 afin de lui rappeler ses obligations.

·         En date du 20/10/1995, le précédent conseil du client, a formulé une proposition de paiement pour solde de tout compte qui n’a pas été accepté par la banque dans son courrier du 27/10/1995.

·         Le 02/11/1995, le précédent conseil du client faisait savoir à la banque qu’il se trouvait dans l’impossibilité de proposer un plan d’apurement au vu de la situation financière précaire de son client.

·         Face à l’absence de volonté de toute proposition du client,  la banque a été contrainte de procéder à des mesures d’exécution afin de recouvrer sa créance. Ainsi, en date du 12/10/1998, un commandement préalable à une saisie exécution immobilière a été signifié au client.

·         Une opposition a été formulée par le client et ce dernier a été débouté par jugement rendu le 02/06/2000.

·         Une nouvelle procédure de saisie exécution immobilière a été signifiée le 20/07/2000 sur un bien situé à Andrimont.

·         Ce bien a été vendu par le notaire à la requête d’un créancier privilégié. Cette vente n’ayant pas permis de désintéresser les créanciers privilégiés, la banque n’a donc rien obtenu malgré l’accord de mainlevée du 23/05/2006.

·         En date du 18/06/2008, par exploit de justice, l’huissier a signifié au client un nouveau commandement de payer qui n’a fait l’objet d’aucune opposition de sa part.

·         La banque souhaite attirer votre attention sur le fait que lors de la procédure de vente du bien donné en garantie (deuxième séance du 28/02/1990), si la banque s’est vu adjuger le bien, c’est essentiellement en raison de l’absence d’amateur ayant voulu faire de meilleures offres.

 

De plus, la gestion patrimoniale de la banque et donc la revente de biens immobiliers acquis suite à une procédure de vente publique forcée, avec ou sans bénéfice, n’intervient d’aucune manière dans la gestion des crédits hypothécaires.

 

Toutes les mesures nécessaires et utiles au recouvrement de la créance ont été effectuées dans le respect de la législation en vigueur.

 

La banque a multiplié les actions afin de rappeler au client ses obligations depuis la vente du bien donné en garantie.

 

Il ressort également de l’ensemble des faits rappelés ci-dessus que la dette détenue par la banque n’est certainement pas prescrite, ce qui ne permet pas au client d’être considéré comme déchargé de ses engagements.

 

Le fait pour la banque de ne pas avoir eu la possibilité de recouvrer sa créance pendant un temps, ne signifie pas qu’elle n’ait plus le droit, qu’elle ait abusé ou qu’elle ait renoncé à sa créance tant en capital qu’en intérêts.

 

Le client semble oublier que le principe d’exécution de bonne foi s’applique à toutes les parties à un acte, les débiteurs ne peuvent se contenter de rester passifs et exiger par contre de leurs créanciers qu’ils multiplient les diligences.

 

3.       AVIS DES EXPERTS[1]

 

I. Les faits et l’argumentation des parties

 

Par acte notarié du 21 mai 1984, la banque a consenti au plaignant un crédit hypothécaire de 3.400.000 francs belges pour une durée de vingt ans (vingt annuités constantes de 462.340 francs belges chacune, payables et exigibles par fractions exigibles).

 

Pour garantie de ce crédit, le plaignant a hypothéqué au profit de la banque un immeuble situé à Verviers.

 

Le 8 juin 1984 l’hypothèque a été inscrite au bureau des hypothèques de Verviers.

 

En raison du non-paiement par le plaignant, la banque a dénoncé le crédit et l’immeuble hypothéqué a été vendu.

 

Par acte d’huissier de justice du 21 septembre 1994 il a été fait sommation au plaignant de prendre connaissance de l’acte de liquidation du prix de vente de l’immeuble hypothéqué. Il n’y a pas eu de réaction du côté du plaignant.

 

Il n’y a pas eu de seconde séance de vente et comme il n’y a pas eu de surenchère, l’immeuble a été adjugé à la banque. Quelques mois après le rachat de cet immeuble par la banque, il a été revendu à un tiers pour un prix de 3.300.000 francs belges.

 

Par une lettre du 11 septembre 1995, la banque fait savoir au plaignant qu’il a encore une dette envers la banque de 4.724.209 francs belges, majorée de 941 francs belges par jour à partir du 16 septembre 1995. Dans la même lettre la banque demande au plaignant soit de verser cette somme dans la quinzaine, soit de faire, par retour du courrier, des propositions raisonnables de remboursement au moyen de plusieurs versements mensuels, tout en effectuant immédiatement un premier versement.

 

Le 5 octobre 1995 la banque rappelle sa demande au plaignant.

 

Par lettre du 20 octobre 1995, l’avocat du plaignant, fait savoir à la banque qu’en raison des saisies dont son client a été l’objet, il n’y a plus un seul immeuble à saisir chez lui et qu’il est donc dans l’impossibilité de faire la moindre proposition concrète et sérieuse comme la banque le souhaite. Il propose à la banque que son client paie immédiatement un montant de 500.000 francs belges pour solde de tous comptes.

 

Par une lettre du 27 octobre 1995 la banque répond à l’avocat qu’il ne peut accepter cette proposition.

 

Le 12 octobre 1998 la banque fait signifier un nouveau commandement de payer, préalablement à la saisie immobilière d’un autre immeuble dans lequel le plaignant possède 3/20èmes en nue-propriété. Le plaignant a formé opposition contre ce commandement de payer, mais cette opposition a été rejetée par un jugement du Tribunal de première instance de Verviers, chambre des saisies, du 2 juin 2000.

 

Ensuite le commandement et la saisie ont été signifiés respectivement les 4 et 20 juillet 2000 et la saisie a été dûment transcrite le 24 juillet 2000. L’immeuble saisi a été vendu à la requête d’un créancier privilégié et la banque n’a rien obtenu.

 

Par un exploit d’huissier du 10 juin 2008 un nouveau commandement de payer a été signifié au plaignant pour un montant de 227.646,38 euro, à majorer de 23,33 euro d’intérêts contractuels par jour.

 

Par une lettre du 19 décembre 2016, la société de recouvrement, agissant comme mandataire de la banque, a mis formellement le plaignant en demeure de payer dans les quinze jours le montant de 300.376,10 euro, à majorer de 23,33 euro d’intérêts contractuels par jour à partir du 20 décembre 2016. Il ressort d’une lettre de la société de recouvrement du 31 janvier 2017 qu’à cette date le capital à rembourser s’élevait à 301.386,87 euro. Il est utile de noter que le plaignant n’a encore rien remboursé en ce qui concerne le capital du crédit.

 

Par une lettre du 17 février 2017, adressée à la société de recouvrement, l’avocat du plaignant estime qu’il s’impose de faire application du délai de prescription.”

 

En réponse à cette lettre la société de recouvrement invoque l’article 10 de la loi du 10 juin 1998 “modifiant certaines dispositions en matière de prescription” (Moniteur belge du 17 juillet 1998) qui dispose en sa première phrase : “Lorsque l’action a pris naissance avant l’entrée en vigueur de la présente loi, les nouveaux délais de prescription qu’elle institue ne commencent à courir qu’à partir de son entrée en vigueur.

 

Par un exploit d’huissier du 17 mars 2017 et conformément au prescrit de l’article 1690 du Code Civil, la banque a notifié au Service Fédéral des Pensions la cession de salaires signée à son profit par le plaignant.

 

Par une lettre du 28 avril 2017, adressée à l'Ombudsfin, l’avocat du plaignant explique que cette notification n’est pas conforme aux exigences légales, puisque le créancier doit notifier la cession au travailleur (débiteur cédant) concomitamment à la notification faite au débiteur cédé (l’employeur), ce qui n’a pas été le cas en l’occurrence. En outre il invoque (1) que son client n’a jamais renoncé au bénéfice de la prescription; (2) qu’il n'y a eu de sa part strictement aucun paiement volontaire; (3) que les sommes éventuellement encaissées par le créancier ne peuvent être considérées comme valant reconnaissance de dette et que l’absence d’opposition à la cession ne peut être assimilée à une reconnaissance tacite.

 

Par une lettre du 5 mai 2017, adressée à l’avocat du plaignant, la banque fait savoir que la banque a décidé à titre de geste commercial et afin de prouver sa bonne foi, d’appliquer la prescription quinquennale aux intérêts produits par sa créance (l’article 2277 du Code civil). De plus il a décidé à titre de geste commercial exceptionnel que la créance ne serait plus productive d’intérêts à dater de ce jour.

 

II. Avis des experts

 

C’est à juste titre que la banque invoque l’article 10 précité de la loi du 10 juin 1998 “modifiant certaines dispositions en matière de prescription” qui contient les “Dispositions transitoires” de cette loi. En effet, selon l’article 1er de l’acte notarié du 21 mai 1984 “La durée du prêt est de vingt ans à compter du premier du présent mois. En conséquence, le prêt doit être complètement amorti le premier mai deux mille quatre.” L’article 2, première alinéa, première phrase de l’article 2 du même acte notarié stipule : “Sans préjudice des clauses d’exigibilité avant terme prévues au cahier des charges, en vue d’assurer le complet amortissement du capital prêté et le paiement régulier des intérêts, les emprunteurs s’obligent à verser vingt annuités constantes de quatre cent soixante-deux mille trois cent quarante francs chacune, payables et exigibles par fractions trimestrielles à terme échu (…).”

 

Puisqu’en l’occurrence le plaignant n’a pas encore remboursé le capital du crédit, il résulte de ce qui précède que la créance de la banque était encore exigible au moment de l’entrée en vigueur de la loi précitée du 10 juin 1998. En effet, selon l’ancien article 2262 du Code civil toutes les actions étaient prescrites par trente ans. A défaut de disposition transitoire dans la loi précitée du 10 juin 1998, cette loi est entrée en vigueur le dixième jour après la publication de cette loi dans le Moniteur belge, c’est-à-dire le 27 juillet 1998.

 

Selon le nouvel article 2262bis, § 1 du Code civil “toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans.” En l’occurrence l’action de la banque est une action personnelle, puisqu’elle a pour objet le remboursement du capital d’un crédit.

 

Comme mentionné ci-dessus, un commandement de payer a été signifié au plaignant par un exploit d’huissier du 10 juin 2008. Selon l’article 2244 du Code civil “Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, forment l’interruption civile.”

 

De ce qui précède il résulte qu’en l’occurrence la prescription de dix ans a commencé à courir le 27 juillet 1998 et qu’elle a été interrompue le 10 juin 2008, de sorte qu’elle n’est pas encore acquise.

 

4.       CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN

 

Suite à l’introduction de la plainte et après analyse du dossier par le Collège d’experts, l’Ombudsman confirme que La banque est en droit de réclamer le solde de sa créance. L’Ombudsman ne peux que regretter qu’un accord amiable ou une solution de médiation n’ait pas été recherchée beaucoup plus tôt dans ce dossier, afin de limiter la créance et de pouvoir donner une perspective de libération possible de sa dette au client.

 


[1] Le collège s’est réuni le 17.10.2017 en présence de Monsieur A. Van Oevelen (Président), Madame N. Spruyt, Madame M. Mannes, Monsieur E. Struye de Swielande, Monsieur J Vannerom, Monsieur Reinhard Steennot (Membres) et l’avis a été définitivement approuvé par les experts, le 27.10.2017.