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Crédits hypothécaires – Formation du contrat - Coûts

 

2015.2926

 

THEME

 

Crédits hypothécaires – Formation du contrat - Coûts

 

AVIS

 

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président ;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président ;

Messieurs F. de Patoul, L. Jansen, membres ;

Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 19 janvier 2016

 

1.         LES FAITS

 

Le 23 mai 2015, la requérante a introduit une demande de modification de plusieurs éléments essentiels de son crédit hypothécaire: adaptation du taux d’intérêts, modification de la durée… Il s’agit donc de l’adaptation d’un crédit existant assorti d’un nouveau tableau d’amortissement. Dans le cadre de cette procédure de révision, la plaignante a signé un document contractuel d’adaptation de son crédit sur lequel il est expressément mentionné les frais de dossier et l’indemnité de renégociation de 3.312,69€ et l’a signé pour accord.

 

A la suite de l’adaptation de ce crédit, la banque a prélevé une indemnité de renégociation d’un montant de 3.312,69€ plus ou moins équivalent à trois fois le montant d’intérêts de l’échéance du 30 juin 2015, selon le tableau d’amortissement établi dans le cadre du dossier, en plus des frais de dossier de 350€ prévus dans la liste des tarifs.

 

La plaignante considère cette indemnité de renégociation illégale car contraire à l’article VII.132 du Code de Droit économique et souhaite en obtenir la restitution. Elle s’appuie également sur une circulaire HYP23 de l’OCCH du 15 février 2006 qui prévoit que le montant des frais liés à des adaptations sollicitées par le consommateur en cours de contrat doit figurer dans la liste des tarifs de l’entreprise.

 

2.         POSITION DE LA BANQUE

 

La banque considère que la renégociation du crédit et -en particulier- du type de taux et du taux, et de la durée sont des éléments qui sortent de l’exécution normale du contrat de crédit hypothécaire et ne constitue ni une option contractuelle du contrat initial, ni une négociation du crédit en cours. Dès lors, selon la banque, ces éléments sortent du champ d’application de la loi qui exclut toute indemnité de négociation.

 

C’est donc le principe de la liberté contractuelle qui s’applique en cas de renégociation des crédits hypothécaires.

 

Or ladite indemnité de renégociation a été prévue contractuellement et a recueilli l’accord de la plaignante sans aucune réserve. C’est cette convention qui fait loi entre les parties et la banque considère qu’il n’y a pas lieu à restitution puisqu’elle a été acceptée.

 

La banque invoque à l’appui de sa position une lettre de l’Office de Contrôle des Assurances du 24 août 1999 qui confirment le principe de la liberté contractuelle dans cette hypothèse.

 

3.         AVIS DES EXPERTS[1]

 

A.      Premier Collège – question préjudicielle :

 

Les experts estiment que la demande soulève une question de principe. Celle-ci peut se résumer comme suit :

 

(1)    Le contrat de crédit ne peut être modifié que de l’accord des deux parties. Un accord est intervenu dont les modalités ont été proposées de manière claire et non équivoque au plaignant : la baisse du taux était proposée avec une indemnité de renégociation dont le montant correspondait à peu de choses près au montant de l’indemnité prévue en cas de remboursement anticipé.  Le plaignant a accepté la proposition mais remet son accord en cause sur base de l’article VII.132 du Code de Droit économique (CDE) qui a un caractère impératif et qui peut donc être invoqué nonobstant l’accord intervenu.

 

(2)    Selon la banque acceptant de renégocier les termes de leur accord, les parties se placent en dehors de la loi hypothécaire puisque l’hypothèse de la renégociation du contrat n’est pas réglementée par la législation actuelle (loi du 4 août 1992 transposée depuis peu au livre VII, titre 4, chapitre 2 du Code de Droit économique). La banque évoque à cet égard, un courrier du 24 août 1999 de l’Office de Contrôle des Assurances, lequel précise :

 

Après examen du dossier, il apparaît que la renégociation d’un crédit hypothécaire n’est pas explicitement visée ni par l’arrêté royal n°225, ni par la loi du 4 août 1992. Une telle négociation ne constitue pas non plus l’exécution normale du contrat et n’est donc pas réglée par les dispositions de ce dernier.

 

L’Office ne s’oppose pas à ce que l’emprunteur et le prêteur conviennent librement des modalités de la renégociation dans les conditions précitées et pour autant que les obligations mises à charge de l’emprunteur ne soient pas excessives.

 

(3)    Les experts s’interrogent cependant sur l’incidence en l’espèce du caractère impératif des dispositions relatives au crédit hypothécaire dans le livre VII du Code de droit économique. 

 

Ces dispositions visent à protéger le consommateur lors de la conclusion d’un contrat de crédit notamment par l’instauration d’un certain formalisme (remise préalable d’une offre - article VII.133; contrat écrit avec mentions obligatoires et clauses interdites – article VII.133 et suivants). Si ce formalisme s’impose à la conclusion du contrat, il ne semble pas possible d’y échapper lors de la renégociation des modalités contractuelles (surtout lorsque, comme en l’espèce, la renégociation porte sur l’objet même du contrat : taux, montant à rembourser et plan d’amortissement).

 

L’objectif de protection qui fonde le caractère impératif de ces dispositions est identique qu’il s’agisse de négocier ou de renégocier. La question est ainsi posée de savoir s’il est possible de modifier un contrat de crédit hypothécaire ou si, au contraire, la renégociation impose la conclusion d’un nouveau contrat en respectant le formalisme de conclusion du contrat de crédit hypothécaire comme, par exemple, la consultation de la Centrale des Crédits aux particuliers (article VII.149 CDE).

 

C’est le point de vue de l’administration pour les contrats de crédit à la consommation :

 

Il ne se conçoit pas que le formalisme rigoureux exigé pour la conclusion du contrat, ne soit pas également requis en cas de modification du crédit. L'ensemble des mécanismes de protection du consommateur mis en place par loi autour de la signature du contrat doivent donc être reproduits pour toute modification du contrat : il faut conclure un nouveau contrat. Un contrat de crédit ne peut donc en principe être modifié en aucun cas, pas même de commun accord. L’article 30 précise en outre que sauf les exceptions prévues par cet article (voyez le commentaire y relatif), toute clause permettant de modifier les conditions du contrat de crédit est réputée non écrite. L'esprit et la logique formaliste de la loi de 1991 imposent cette interprétation déjà soutenue par certains commentateurs du texte initial (Balate et crts, Le crédit à la Consommation, n° 70, p. 62) (site du SPF Economie, http://www.consumercredit.be/article-1,-4%C2%B0-le-formalisme-du-contrat-et-ses-cons%C3%A9quences.html).

 

(4)    Dans cette perspective, une indemnité de renégociation irait à l’encontre du principe consacré à l’article VII.132 CDE puisqu’une renégociation ne pourrait jamais être que la négociation d’un nouveau crédit.

                                                         

Quand bien même une renégociation serait possible sans avoir à conclure un nouveau contrat, les experts observent qu’elle ne pourrait intervenir que dans le respect des dispositions du Livre VII relatives au crédit hypothécaire (en ce sens qu’elle ne pourrait aboutir à l’adoption de clauses interdites) et dans le prolongement du contrat existant auquel il n’est aucunement mis fin. Dans cette mesure également, prévoir une indemnité de renégociation, dont le montant correspondait à peu de choses près au montant de l’indemnité prévue en cas de remboursement anticipé, semble aller à l’encontre de l’article VII.132 du CDE.

 

(5)    Les experts estiment que, vu l’avis émis par l’OCCH en 1999 (dans un contexte inconnu) et compte tenu de la circulaire Hyp 23 du 15 février 2006 de l’OCCH aux entreprises hypothécaires, il serait opportun d’interroger à nouveau l’autorité chargée de veiller à la bonne application et à l’application uniforme des dispositions légales par les opérateurs. Ils estiment que l’avis préalable du SPF Economie sur les points évoqués ci-avant est nécessaire pour que le Service puisse remplir avec efficacité son rôle de médiation.

 

B.      Deuxième Collège -  conclusions :

 

Les experts ont pris connaissance de l’avis rendu le 3 mars 2016 par le SPF Economie, direction générale, Réglementation économique – Service Crédit et Endettement et lors de la réunion du Collège du 19 avril 2016[2], les experts ont relevé ce qui suit :

 

Cette autorité rappelle que le caractère impératif des dispositions de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire a été maintenu à l’occasion de leur transposition dans le Code de de Droit économique (voy. CDE, VII.2, § 4).

 

Le caractère impératif se traduit par un formalisme qui s’applique lors de la négociation et de la conclusion du contrat de crédit hypothécaire. Les règles de protection subsistent pendant toute la durée du contrat en ce compris lors de la renégociation de ses conditions. L’autorité en conclut que toutes modifications apportées aux éléments essentiels du contrat de crédit hypothécaire impliquent la conclusion d’un nouveau contrat. S’il s’agit de renégocier des éléments mineurs (ce que ne sont pas la renégociation du taux et de la durée), les parties peuvent signer un simple avenant au contrat. Le respect de ce formalisme est sanctionné d’une nullité relative que seul le consommateur peut invoquer.

 

La banque soutient que les renégociations des crédits hypothécaires et les indemnités réclamées à cette occasion tombent entièrement sous la liberté contractuelle des parties. Les experts considèrent que cette thèse est en contradiction avec les dispositions impératives de la loi et qu’elle ne peut être suivie.

 

Les plaignants acceptent les modalités nouvelles convenues avec le prêteur mais contestent les frais réclamés à l’occasion de cette renégociation.

 

L’article VII.132 CDE interdit au prêteur de réclamer tous autres frais et indemnités que ceux qui sont fixés aux articles VII.130 et VII.131 CDE. L’article VII.130 autorise exclusivement les frais de constitution de dossier et les frais d’expertise de biens mis en garantie. L’article VII.131 autorise l’indemnité de remploi en cas de remboursement anticipé.  Selon l’exposé des motifs de la loi de 1992 (Chambre, 1990-1991, n°1742/1, p. 7), Les frais généraux de gestion, tels que les frais de correspondance, d’attestations fiscales et autres, font partie de la gestion financière globale du prêteur ; ils doivent donc être supportés par le produit des intérêts, dont le taux est communiqué par le prêteur. Si, dans le cours du crédit, l’emprunteur fait usage de certaines options ou demande certaines adaptations qui donnent lieu pour le prêteur à des frais, il est évident que ceux-ci peuvent, de commun accord, être mis à charge de l’emprunteur, sous réserve du présent chapitre.

 

-Les experts constatent une certaine incohérence entre le texte des articles VII.130 et VII.131 CDE qui exclut tous autres frais et indemnités que ceux qui sont expressément autorisés et d’autre part, la faculté envisagée dans l’exposé des motifs de prévoir des frais si des prestations complémentaires sont imposées au prêteur. Il n’est pas douteux que la renégociation d’un crédit occasionne des prestations supplémentaires pour la banque dont elle est en droit de demander le paiement selon l’exposé des motifs. Les frais de dossier de 360 euros sont d’ailleurs prévus dans son tarif pour cette hypothèse et les plaignants ne les remettent pas en cause.

 

Ils estiment néanmoins que l’indemnité de « renégociation » de 3.312,69 euros est illégale, sur base de l’article VII.132 CDE. Les experts observent qu’une indemnité de remploi de trois mois calculée au jour de la renégociation (taux de 3,70% -- capital de 364.431,87€) représente un montant de 3.371 euros.

 

Dans une vision rigoriste, le prêteur aurait dû imposer la conclusion d’un nouveau contrat de crédit pour rembourser le crédit existant et fixer les modalités nouvelles (nouveau montant en capital, nouvelle durée et taux moindre). Cette opération aurait entraîné des frais et indemnités comparables voire supérieurs s’il y avait lieu de prendre une nouvelle inscription hypothécaire. En l’espèce, l’indemnité dite de renégociation réclamée par la banque ne s’écarte pas de la limite fixée par l’article VII.131 CDE pour l’indemnité de remploi que la banque eut été en droit de réclamer. Les experts considèrent donc que l’esprit de la loi est respecté.

 

Les experts observent également que les plaignants ont été correctement informés au moment de la renégociation. Ils ont reçu un décompte clair et détaillé qu’ils ont déclaré accepter.  Ayant obtenu les avantages recherchés, ils remettent en question l’indemnité qu’ils ont acceptée de payer tout en cherchant à conserver les avantages d’une réduction sensible de la durée et du coût du crédit. Cette attitude peut sembler contraire à l’exécution de bonne foi des conventions.  Les experts estiment en conséquence qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande des plaignants.

 

4.         CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN

 

Compte tenu des discussions qui ont eu lieu entre les experts, l’Ombudsman rejoint la position du Collège et considère qu’en équité, au vu de tous les éléments juridiques et de fait en présence, des avantages dont bénéficie la plaignante, il n’y a pas lieu à restitution de l’indemnité qui, par ailleurs, était connue et a été acceptée. Cette décision de médiation se fonde également sur le fait que le montant de cette indemnité correspond au montant de l’indemnité de remploi qui aurait été réclamée dans le cadre d‘un refinancement, plus formel.   

 


[1] Le collège s’est réuni le 19 janvier 2016 en présence d’A. Van Oevelen, M.-F. Carlier, N. Spruyt, M. Mannès, F. De Patoul en L. Jansen et a formulé une question préjudicielle définitivement approuvée par les experts, le 27 janvier 2016.

 

[2] Le collège s’est réuni le 19 avril 2016 en présence d’A. Van Oevelen, M.-F. Carlier, N. Spruyt, M. Mannès, F. De Patoul en L. Jansen et leurs conclusions ont été définitivement approuvées par les experts, le 3 mai 2016.