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Crédits hypothécaires - Sûretés

2019.1299

THEME
Crédits hypothécaires - Sûretés
AVIS

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président;
Madame N. Spruyt; Messieurs R. Steennot, A. Guigui, J. Vannerom, membres;

Date : 6 août 2019

1. LA PLAINTE
Le 16 septembre 2003, le requérant a contracté un crédit de 155.000€ chez une institution financière pour acheter un bien immeuble et y créer et exploiter un restaurant.
A la garantie de ce crédit, le requérant a apporté divers biens immeubles dont l’immeuble familial, qui appartenait à sa maman et son papa. Sa maman étant prédécédée en 1996, tous les 5 frères avaient hérité de sa part (la moitié), chacun à concurrence de 1/10 en nue-propriété. Or pour venir en aide à deux de ses fils, le père a accepté d’affecter son bien en hypothèque et pour que l’acte notarié soit parfait, chacun des frères a dû comparaître en personne ou représenté en qualité d’affectant hypothécaire.
Ensuite en 2005, les frères du plaignant se sont querellés et le crédit n’a plus été payé depuis décembre 2005, le restaurant a fait faillite en 2006. La faillite a été gérée par la curatrice et un de ses frères a obtenu l’excusabilité. Un d’entre eux et son épouse ont été admis en règlement collectif de dettes en 2006.
En 2015, le père du plaignant est décédé et chaque frère a recueilli 1/5 en pleine propriété du bien qui est actuellement saisi et en voie d’être vendu.
Le plaignant indique que suite à la dénonciation du crédit, il n’a jamais reçu de nouvelles de l’institution financière Il se plaigne car aujourd’hui la maison familiale est mise en vente et il souhaite la conserver pour les enfants. Il déplore ne pas avoir été prévenu de cet état de fait avant.
2. POSITION DE LA BANQUE
La banque estime que le requérant était au courant puisque son conseil a tenté de trouver une solution amiable. La banque relève que la créance principale n’est pas prescrite et a fait l’objet de diverses procédures de recouvrement.
3. AVIS DES EXPERTS
Le requérant, en sa qualité de tiers affectant hypothécaire, se plaint du fait que le prêteur ne l’a pas prévenu de la mise en vente de la maison de son père. Il indique également n'avoir reçu aucune notification du prêteur suite à la dénonciation du contrat de crédit conclu par deux de ses frères et leur épouse ou compagne et pour lequel il s'est constitué tiers affectant hypothécaire.

Quand le Collège analyse un dossier et donne un avis, il n'est pas limité aux propos du requérant. Il appartient au Collège d'analyser chaque dossier sur ses mérites, et ce, sur la base des pièces que les parties joignent au dossier introduit auprès d’Ombudsfin. Ce principe s’applique d’autant plus que le requérant est, en l’espèce, un consommateur qui s'est constitué affectant hypothécaire (voyez ci-dessous) et qui n'est pas assisté d'un conseiller juridique. Et ce, afin de donner un effet utile aux règles protectrices (européens) en matière du droit à la consommation.

Tout d'abord, le Collège constate que le contrat de crédit litigieux doit être qualifié comme un crédit professionnel, qui n'est pas soumis aux règles spécifiques du Livre VII., Titre 4, Chapitre 2 'Crédit hypothécaire' du Code de droit économique. En l'espèce, les emprunteurs ont agi à des fins qui entrent dans le cadre de leurs activités professionnelles, notamment le financement d'un bien immeuble afin d'y créer et exploiter un restaurant.

Cependant, lorsque une personne physique, se porte (tiers) affectant hypothécaire, en dehors de son activité professionnelle, ladite personne agit en tant que consommateur au sens des règles générales de protection . Plus particulièrement, cette personne bénéfice, sans préjudice du droit commun, des règles protectrices du Livre VI du Code de droit économique. Ceci s’applique notamment lorsque cette personne n'a pas de lien de nature fonctionnelle avec l'activité professionnelle des emprunteurs .

En tout état de cause et au fond du dossier, le Collège constate que le prêteur a commis une faute précontractuelle. En l'espèce, il faut remarquer que le prêteur a recherché des garanties hypothécaires sur trois biens immobiliers. Une telle demande est exagérée vu que le montant de crédit litigieux s'élevait seulement à 155.000,00 EUR. Le prêteur ne donne aucune motivation pour une telle demande. De plus, le prêteur ne démontre pas qu'il a suffisamment analysé la solvabilité des emprunteurs au moment de la conclusion du contrat de crédit litigieux. Au contraire, sur la base des pièces du dossier il est raisonnable de conclure que le prêteur a uniquement conclu le contrat de crédit litigieux car il avait suffisamment sécurisé sa créance en demandant des garanties hypothécaires. Depuis un trentaine d’années, il est d’ailleurs interdit aux prêteurs d’octroyer des crédits purement sur la base des sûretés – et ce, tant en matière de crédit privé que de crédits professionnels.

Même si l’on accepte qu'il ne pèse, en droit commun, aucun devoir d'information spécifique sur le prêteur vis-à-vis des affectants hypothécaires, la doctrine et la jurisprudence acceptent que le prêteur peut avoir commis d'autres fautes dans le processus de conclusion d’un contrat de crédit qui peuvent donner lieu à une action en responsabilité (extra-)contractuelle de la part du (tiers) affectant hypothécaire. Plus concrètement, le requérant peut fonder son action en responsabilité précontractuelle, en vertu de l'article 1382 du Code civil, sur le fait que le prêteur a octroyé de manière apparemment illégitime le contrat de crédit litigieux uniquement sur la base des garanties hypothécaires. Cette faute du prêteur a eu pour conséquence nécessaire de faire prendre un risque considérable au requérant, ses chances de ne pas être inquiétées étant considérablement réduites. La libération du requérant constitue la modalité la plus adéquate de la réparation en nature du dommage lui causé par la faute commise à son égard par le prêteur .

A titre subsidiaire, le Collège estime que le prêteur a également commis plusieurs fautes à l'égard du requérant en sa qualité de tiers affectant hypothécaire pendant l'exécution du contrat de crédit et du sûreté réel litigieux.
D'abord, le prêteur a exercé de manière abusive son droit de mettre en vente le domicile du père du requérant. Le prêteur ne fournit pas la preuve qu'il avait informé en 2016 et 2017 le requérant de la hauteur des arriérés et des conséquences qui pouvaient en résulter. Par conséquent, le prêteur a manqué à son devoir d'information vis-à-vis du requérant. A cause de ce manquement, le requérant n'a pas pu tenter de trouver une solution avec ses frères avant que le domicile de son père ne soit mis en vente.
Deuxièmement, le prêteur a commis une faute en attendant plusieurs années avant de mener à bien les démarches pour recouvrir sa créance. Le remboursement du contrat de crédit litigieux était en défaut depuis décembre 2005. En attendant plus de dix ans, le prêteur n’a pas exécuté de bonne foi ses droits contractuels. En contrevenant à son obligation de limiter son propre dommage, le prêteur est resté inactif pendant des années et des années. A tort, il a donc permis à la dette de s’accroitre de façon disproportionnée par l’accumulation des intérêts moratoires. Dès lors, il a abusé de ses droits de recouvrement.
Le Collège estime que la libération du requérant constitue, également au regard desdites fautes du prêteur dans l'exécution du contrat de crédit litigieux, la modalité la plus adéquate de la réparation en nature du dommage causé au requérant par la faute du prêteur.

Finalement, le Collège rappelle qu'une demande en remboursement d'un contrat de crédit est une créance personnelle qui est subordonné à un délai de prescription de dix années . Avant la dénonciation d'un contrat de crédit le sort des intérêts est par ailleurs subordonné à un délai de prescription de cinq années .
Après la dénonciation d'un contrat de crédit le solde restant dû à la date de la dénonciation est devenu une créance qui est immédiatement due en une seule fois et constitue donc le montant principal que le créancier peut réclamer . Ce montant principal est soumis au délai de prescription de dix années. Par contre, les intérêts moratoires qui sont dus sur ce montant principal, sont de nouveau soumis au délai de prescription de cinq années en vertu de l'article 2277 du Code civil .

4. CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN
Il ressort du dossier qu’à plusieurs égards, l’institution financière a manqué à ses obligations vis à vis du requérant. Compte tenu des arguments, ci-avant exposés, il m’apparaît que le Collège estime à juste titre que la libération du requérant constitue, au regard desdites fautes du prêteur dans l'exécution du contrat de crédit litigieux, la modalité la plus adéquate de la réparation en nature du dommage causé par la faute du prêteur. Dès lors, il me semble que la mainlevée de la saisie sur l’immeuble litigieux doit être accordée par l’institution financière.