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Exclusion des clients américains – FATCA – principe de non-discrimination.

2014.0947

 

THEME

 

Exclusion des clients américains – FATCA – principe de non-discrimination.

 

AVIS

 

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président ;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres
Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 16 décembre 2014

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

1.   Le 25 avril 2014, la banque a adressé au requérant un courrier standard relatif à une nouvelle législation fiscale adoptée aux Etats-Unis : le Foreign Accounts Tax Compliance Act adopté dans le cadre du vote de la loi Hiring Incentives to Restore Employment Act par le Congrès laquelle a été signée par le président Obama le 18 mars 2010 (Ci-après, la loi FATCA).

 

Le courrier du 25 avril 2014 informe le requérant que ses avoirs en comptes rentrent dans le champ d’application de la loi FATCA. En l’espèce, l’application de la loi FATCA est la conséquence de la double nationalité du requérant (belge et américaine).

 

Dans son courrier la banque signale qu’elle entend, pour cette raison, mettre un terme à la relation avec le requérant moyennant un préavis de deux mois. La banque invite le requérant à lui retourner pour le 10 juin au plus tard, un formulaire avec les instructions pour transférer le solde de ses comptes dans une autre banque. La banque précise qu’à défaut d’instruction dans le délai fixé, elle transférera les avoirs auprès de la Caisse de dépôt et consignations.

 

La banque signale en outre dans ce même courrier que les comptes pourraient subsister en ses livres si le requérant choisit de renoncer à sa nationalité américaine et la banque lui communique à cet effet certains renseignements quant à la procédure à suivre.

 

Cette décision a été rappelée au requérant dans un courrier du 28 mai 2014 de la banque. Dans ce courrier, celle-ci rappelle que si le formulaire d’instruction n’est pas remis signé pour le 10 juin, elle se trouvera dans l’obligation de déposer les avoirs à la Caisse de Dépôts et Consignations à l’expiration du préavis, le 24 juin 2014.

 

Le client se plaint de faire l’objet d’une discrimination en raison de sa nationalité.

 

2.   Le Collège a été saisi d’autres plaintes de client également dirigées contre la banque. Les requérants ont reçu ces mêmes courriers. D’autres banques paraissent avoir adopté des mesures équivalentes quoique sur une base plus nuancée.

 

3.   La banque conteste formellement toute discrimination.

 

Elle invoque l’article 53.2 du Règlement général des opérations qui lui permet de mettre fin à tout moment à la relation avec un client moyennant un préavis de deux mois, sans devoir motiver sa décision.

 

Elle souligne que le champ d’application de la loi FATCA est extrêmement vaste puisqu’elle s’applique à toutes les personnes présentant un lien ou un soupçon de lien avec les Etats-Unis. La banque doit tenir compte d’indices divers, tels qu’un numéro de téléphone aux Etats Unis, une adresse ou un lieu de naissance aux Etats-Unis. Ainsi, la législation ne vise pas seulement les personnes ayant la nationalité américaine, mais vise également une personne ayant la nationalité belge mais une adresse (légale ou postale) aux Etats-Unis.

 

Cette loi nouvelle impose des obligations très lourdes qui impactent le budget et l’organisation administrative et opérationnelle de la banque. C’est d’autant plus vrai que, après analyse, il apparaît que le nombre de clients soumis à FATCA est extrêmement réduit. Plutôt que de supporter les coûts et de consentir des efforts considérables d’adaptation de toute son organisation, la banque a donc estimé raisonnable de limiter son offre de services et d’en exclure les personnes soumises à la loi FATCA.

 

La banque souligne que les clients qui ont la double nationalité peuvent renoncer à leur nationalité américaine et fait observer qu’un certain nombre de clients ont choisi cette voie.

 

II. AVIS DU COLLEGE

 

1.   A l'occasion de plusieurs avis, le Collège a souligné que les choix opérationnels et les stratégies commerciales relevaient de l'appréciation discrétionnaire des banques. Le Collège ne peut se prononcer sur celles-ci que de manière marginale, s'il apparaît que dans l’exercice de ce pouvoir la banque commet une faute manifeste, telle la violation d’une obligation légale.

 

Le choix d'exclure des services qu'elle propose à sa clientèle, tous les clients auxquels la loi FATCA est susceptible de s'appliquer, est un choix opérationnel. Le Collège peut cependant en examiner la légalité dans la mesure où le requérant y voit une discrimination interdite par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

 

2.   En l'espèce le critère d’exclusion est d’abord la nationalité mais cela va aussi bien au-delà puisque la loi FATCA concerne également les personnes non documentées. Il s’agit des personnes qui, sans avoir la nationalité américaine, présentent des indices de liens avec les Etats Unis (résidence, numéro de téléphone, Green card, adresse postale, ordre permanent vers les EU, etc.) et n’ont pas fourni les explications demandées.

 

Le critère d’exclusion est donc le fait d’être visé par la loi FATCA. La personne qui tombe sous l’application du régime fiscal américain, ne peut devenir (et en l'espèce rester) cliente auprès de la banque.

 

La question est donc de savoir si un opérateur économique peut exclure une catégorie de clients en raison des obligations fiscales spécifiques que leur statut particulier l’obligerait à appliquer.

 

Le Collège a déjà répondu affirmativement à cette question dans un dossier où un opérateur entendait réserver une offre de service par internet aux seuls résidents belges en excluant dès lors les clients établis en dehors du territoire national.

 

La question se présente différemment en l'espèce s'agissant d'une distinction opérée entre des clients dans le même marché.

 

3.   Le Collège, au sein duquel des divergences marquées opposent les représentants des consommateurs et des professionnels, a sollicité l'avis du Centre pour l'Egalité des chances qui, par courrier du 9 septembre 2014, a émis l'opinion qu'en refusant de fournir ses services aux personnes tombant dans le champ d'application de la loi FATCA, la banque opérait une discrimination à la fois directe et indirecte sur base de la nationalité laquelle est interdite par la loi du 10 mai 2007.

 

L'organe équivalent aux Pays-Bas, het College voor de Rechten van de Mens, a rendu un avis dans le même sens, le 2 avril 2014. La plainte avait été introduite par une personne ayant la double nationalité et qu'une banque avait exclu en raison de sa nationalité américaine. La décision de l'organe néerlandais précise : Anders gezegd : verweerster sluit de personen met de Amerikaanse nationaliteit uit van haar dienstverlening , enkel vanwege het feit dat zij deze nationaliteit bezitten. Le College voor de Rechten van de Mens en conclut qu'il y a une discrimination directe.

 

4.   Le Collège rejoint en partie l’avis du Centre dès lors que la pratique de la banque pourrait constituer, en l’espèce, une discrimination.

 

5.   La banque évoque les coûts découlant de l'adaptation de son système informatique et de son organisation de travail, ainsi que les coûts récurrents d'un reporting régulier, coûts qu'elle évalue au total à plusieurs centaines de milliers d'euros. Outre, que cet argument n'est pas étayé et qu'il peut être mis en doute au regard de l'intérêt global de la banque, l'interdiction de la discrimination est une valeur que l'ordre juridique belge et européen place au-dessus de l'intérêt particulier. L'argument économique n'est donc pas un objectif qui rendrait légitime la distinction opérée. Comme la Cour de justice européenne le rappelle dans plusieurs arrêts, ne peuvent en effet être considérés comme légitimes que les objectifs présentant un caractère d’intérêt général qui se distinguent de motifs purement individuels propres à la situation de l’employeur, tels que la réduction des coûts ou l’amélioration de la compétitivité.

 

6.   Le Collège estime par ailleurs qu'il n'est pas davantage démontré que l'exclusion de toutes les personnes visées par la loi FATCA soit une mesure appropriée et nécessaire pour réaliser un objectif légitime (à supposer – quod non – que l'objectif d'éviter des coûts élevés soit légitime). La banque exerce directement ses activités dans une quarantaine de pays sous cette même personnalité morale : elle pourrait difficilement démontrer que l’exclusion est une mesure légitime, dès lors qu'elle a choisi d'être FATCA compliant et qu’elle semble accepter les conséquences de son choix dans d’autres pays que la Belgique.

 

7.   Ceci étant, le Collège observe que la loi FATCA fait l'objet de vives critiques au motif que le législateur américain a usé de sa position économique dominante pour imposer une loi d'application quasi-universelle. Pour l'énorme majorité des banques, le marché américain et certaines places financières aux Etats Unis, sont d'une importance telle qu'il ne peut aucunement être envisagé de ne pas adhérer à la loi FATCA.

 

Bien que son application suppose une déclaration d'adhésion volontaire des opérateurs, l'application de la loi FATCA s'impose à eux comme inéluctable par l'effet des sanctions économiques qu'elle prévoit. L'adhésion n'est donc pas un choix mais une contrainte imposée par les Etats Unis pour forcer l'application de sa loi fiscale sur le territoire de la planète entière sous la menace d’exclure l’opérateur récalcitrant des marchés financiers internationaux. 

 

Dans cette mesure, la loi FATCA elle-même rend inévitable sur le territoire des autres Etats, un comportement discriminatoire en imposant des obligations de signalement et de reporting à l'égard des personnes déterminées essentiellement sur base du critère de nationalité. Par ailleurs, la loi FATCA impose des mesures drastiques à l’égard des bénéficiaires de paiements dont les comptes sont tenus dans des établissements financiers qui ne se sont pas engagés à respecter la loi auprès du service compétent de l’administration fédérale américaine.

 

Considérant les enjeux en cause, l’obligation inéluctable dans laquelle la banque se trouve de déclarer qu’elle respectera la loi FATCA, la discrimination directe et indirecte que celle-ci induit et les conséquences d’un paiement fait en faveur d’un bénéficiaire ayant un compte auprès d’un établissement qui n’a pas souscrit l’engagement FATCA, le Collège considère que refuser désormais les clients qui tombent dans le champ d’application de la loi FATCA pouvait s’imposer à la banque comme une solution nécessaire et appropriée au dilemme dans lequel elle se trouvait par l’effet d’une législation étrangère sans précédent en droit international. 

 

8.   Le Collège observe néanmoins que la banque aurait pu communiquer ses intentions de manière plus délicate et appliquer le préavis contractuellement prévu de manière plus souple. En faisant preuve de plus de mesure, elle eut pu s’éviter les griefs dirigés contre elle.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège invite la banque à faire un geste commercial afin d’indemniser le requérant pour les inconvénients qu’il subit dans la mesure où il prouve son dommage.

 

La banque a suivi l'avis du Collège.