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Execution only non autorisé – conseil en placement inadéquat – clause contractuelle déséquilibrée et nulle.

 

2013.0166

 

THEME

 

Execution only non autorisé – conseil en placement inadéquat – clause contractuelle déséquilibrée et nulle.

 

AVIS

 

Présents :
Messieurs A. Van Oevelen, Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres.
Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 17 décembre 2013

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

Le plaignant est un menuisier retraité. Il bénéficie d’une pension de 1.500 € par mois. Il déclare être client de la banque depuis plus de quarante années et avoir accumulé une certaine épargne au cours de sa vie professionnelle. Il a toujours suivi les conseils des responsables de l’agence où son compte était géré.

 

Le 7 octobre 2005, alors âgé de 67 ans, il signe un contrat de gestion de fortune. L’objectif de placement vise à l’équilibre entre placements en fonds obligataires (rendement) et fonds d’actions (croissance) dans un horizon de placement à plus de 10 années. Le plaignant déclare avoir une connaissance moyenne en placements.

 

Le 28 décembre 2007, il décide de mettre fin au contrat de gestion de fortune. Il déclare avoir pris cette décision en raison des pertes enregistrées. Après réalisation des valeurs de son portefeuille, le plaignant déclare avoir été interpellé par le responsable de son agence pour réinvestir son capital. Il a ainsi investi 100.000 € dans un produit d’assurance assurant un rendement de 2,6% et, toujours sur les conseils de l’agence, avoir investi plus de 300.000 € dans un fonds X. Il affirme que l’agence lui a certifié que ce fonds était à capital garanti.

 

Cinq mois plus tard, l’agence lui a conseillé de vendre le fonds X compte tenu d’une croissance acquise de 5% en quelques mois. Le requérant déclare avoir à nouveau fait confiance au conseil qu’il affirme avoir reçu. Selon le requérant, le responsable de l’agence lui a alors conseillé d’utiliser le produit de la vente pour souscrire à une nouvelle émission du même produit.

 

Il a suivi cette recommandation : le 13 mai 2008, il passe un ordre d’achat pour un montant de 310.000 €. L’ordre d’achat comporte une clause qui précise que la banque n’a pas fourni d’information personnalisée ni donné de conseil positif/négatif sur cet investissement et ne vérifie pas si vous connaissez ou avez déjà expérimenté ce type d’investissement. Le client déclare agir de sa propre initiative.

 

Selon le document de présentation publicitaire du fonds X communiqué par la banque, il s’agit d’un placement à 10 ans avec un rendement de 8,5% les deux premières années. Ce rendement est affiché sur la page de couverture en lettres de grande dimension avec le slogan : c’est monumental. En mêmes lettres capitales, le document publicitaire annonce un rendement compris entre 0% et 8,5% de la troisième à la dixième année. En petits caractères en bas de page, le document publicitaire précise qu’il s’agit d’un investissement sans garantie de capital à l’échéance qui peut être remboursé anticipativement dès la fin de la troisième année. Si ce remboursement est activé, le capital est garanti et un coupon (…) de min 8,5% (3ème année) à min. 68% (10èmeannée) est distribué.

 

Le document précise en pages intérieures, qu’à défaut de remboursement anticipé, le rendement des années 3 à 10 dépend de l’évolution d’un portefeuille de 30 actions. Il s’agit donc d’un produit structuré. Sur l’avant-dernière page du document, il est précisé, parmi un ensemble d’informations techniques, que le capital n’est pas garanti à l’échéance de la 10ème année.

 

Le rendement des années 3 à 10 et le remboursement au terme des 10 années sont en réalité calculés sur base des dix actions du panier d’actions qui ont le plus mal performé au cours de la période de référence.

 

Le requérant déclare avoir rapidement constaté l’évolution très défavorable du produit et s’être plaint auprès de son agence. Selon ses dires, le responsable de l’agence lui aurait réaffirmé que le capital était garanti et qu’il fallait attendre l’échéance. Le responsable lui a fait signer un profil d’investisseur, a posteriori, le 29 mars 2009. Suite à la fermeture de son agence, ses avoirs ont été transférés dans un autre point d’exploitation où le responsable lui a annoncé qu’il n’y avait aucune garantie de capital. La valeur actuelle de l’investissement ne serait plus que de l’ordre de 65.000 €.

 

Le requérant se plaint d’avoir été induit en erreur et d’avoir été mal conseillé par la banque. Il demande le remboursement de son investissement.

 

Pour la banque, le requérant a donné un ordre de sa pleine initiative et sans avoir reçu de conseil personnalisé, ce que précise l’ordre qu’il a signé. Comme l’atteste l’ordre de bourse et comme le confirme la banque, il n’y a donc eu aucune vérification des connaissances et de l’expérience du requérant lors de l’achat. La banque estime qu’aucun reproche ne peut lui être fait à cet égard dès lors qu’il s’agit d’une opération décidée d’initiative par le client, sans recommandation personnalisée.

 

La banque relève, en outre, que le requérant disposait d’une certaine expérience en matière d’investissement comme le montrent les déclarations du contrat de gestion de fortune souscrit quelques années plus tôt et qu’il était expérimenté pour avoir déjà acheté et revendu le même produit dans les mois qui précèdent l’opération litigieuse.

 

II. AVIS DU COLLEGE

 

L’opération litigieuse intervient après l’entrée en vigueur des textes de droit belge transposant les directives MiFID. Le Collège doit donc examiner les thèses respectives sur base de ces principes.

 

Un préalable : la validité de la clause invoquée par la banque

 

La banque estime que le requérant ne peut affirmer avoir reçu une recommandation personnalisée pour l’ordre litigieux, dès lors que l’ordre de bourse qu’il a signé contient une clause par laquelle il déclare le contraire.

 

Le Collège considère que cette clause est nulle par application de l’article 74, 21°, de la loi sur les pratiques de marché et la protection des consommateurs du 6 avril 2010. Les dispositions de MiFID sont des dispositions impératives. Il n’est pas possible pour un client de détail d’y renoncer a priori. Or, la clause invoquée par la banque a pour effet de limiter les moyens de preuve que le consommateur peut utiliser pour invoquer la protection que la loi lui assure.

 

A elle seule, cette clause crée un déséquilibre manifeste au détriment du client de détail, en le privant de la protection que lui assurent les articles 27, § 4 et § 5, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier.

 

Le mode « execution only » n’était pas possible pour la valeur litigieuse.

 

La banque déclare avoir accepté un ordre communiqué d’initiative par le client et affirme n’avoir fourni aucune recommandation personnalisée. Elle admet avoir traité l’ordre litigieux selon le mode « execution only » visé par l’article 27, § 6, de la loi du 2 août 2002.

 

Selon l’article 27, § 6, un ordre ne peut être exécuté selon le mode « execution only » que pour autant qu’il réponde à une série de conditions cumulatives dont la première est de porter sur des instruments financiers non complexes (des actions admises à la négociation sur un marché réglementé ou sur un marché équivalent d'un pays tiers, des instruments du marché monétaire, des obligations et autres titres de créances (à l'exception des obligations et autres titres de créances qui comportent un instrument dérivé), des OPCVM et d'autres instruments financiers non complexes).

 

L’instrument financier litigieux est un instrument correspondant à la catégorie visée par l’article 2, 1°, D, de la loi du 2 août 2002. Cette catégorie est exclue de la définition des instruments financiers non complexes reprise à l’article 18, a), de l’arrêté royal du 3 juin 2007.

 

Il en résulte qu’à supposer même que l’ordre ait effectivement été passé sur l’initiative du client – ce qui ne semble pas le cas en l’espèce (voir ci-après), – la banque devait refuser de le traiter selon le mode « execution only » de l’article 27, § 6.

 

Quel mode d’exécution la banque devait-elle adopter ?

 

Dès lors que le mode « execution only » n’était pas autorisé, la banque devait choisir entre le régime de l’article 27, § 4, (conseil en placement) ou le régime de l’article 27, § 5, s’il n’y avait aucune recommandation personnalisée. C’est donc l’existence, ou l’absence, de recommandation personnalisée qui constitue le critère de choix.

 

Le requérant affirme avoir reçu les conseils de son agence et le Collège constate qu’un faisceau de présomptions accrédite cette thèse. Le requérant ne semble pas particulièrement informé, ni expérimenté, en matière d’investissement et c’est d’ailleurs pour cette raison - explique-t-il, - qu’il avait conclu un contrat de gestion de fortune. Sa formation scolaire apparemment de niveau primaire et son expérience professionnelle de menuisier semblent confirmer qu’il ne dispose d’aucune connaissance particulière en instruments financiers. La banque ne produit d’ailleurs aucun dossier démontrant que le requérant disposerait d’une expérience personnelle en cette matière. Alors qu’il est client de la banque depuis une quarantaine d’année, les seuls ordres de bourse qu’il semble avoir signés sont les deux ordres portant sur les valeurs litigieuses.

 

Le Collège constate, en outre, que le produit litigieux est un produit de diffusion modeste, qui porte le nom de la banque et est commercialisé par elle. Le requérant n’a donc pu en être informé que par les démarches publicitaires de sa banque. Le Collège s’étonne par ailleurs qu’un instrument financier avec une échéance à 10 années soit revendu après trois ou quatre mois, sous prétexte d’une plus-value modeste de 5%, avec un réinvestissement dans un produit identique. L’analyse du prospectus commercial, l’utilisation de termes qui mettent en valeur un très haut rendement et la succession d’achat/vente d’un même produit sont l’indice de démarches commerciales actives de la banque pour placer l’instrument financier auprès de sa clientèle.

 

De telles démarches répondent à la qualification de recommandation personnalisée selon MiFID. En conséquence, la banque devait appliquer les règles de l’article 27, § 4, de la loi du 2 août 2012 avant de recommander ce produit à son client.

 

La banque devait recueillir les informations nécessaires concernant les connaissances de son client, son expérience en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière et ses objectifs d'investissement. Selon l’ordre de bourse, la banque n’a recueilli aucune de ces informations. Elle devait dès lors s’abstenir de recommander au client l’achat de la valeur litigieuse (article 27, § 4, deuxième alinéa).

 

La banque tente de tirer argument des déclarations souscrites à l’occasion de la signature du contrat de gestion de fortune, plus de trois années auparavant. Le Collège estime que l’on ne peut pas avoir égard à ces déclarations pour apprécier l’opportunité d’un investissement ponctuel alors que la gestion a pris fin. D’une part, le temps s’est écoulé (et des pertes sont apparues), d’autre part, les objectifs d’une gestion professionnelle peuvent être fondamentalement différents des risques acceptés alors que le professionnel n’assure plus aucune gestion.

 

La banque affirme également que le client disposait d’une expérience suffisante, puisqu’il avait souscrit le même produit quelque mois auparavant avant de le revendre avec un profit de 5%. Le requérant répond, de manière assez crédible, que ce premier achat lui avait déjà été recommandé par la banque. Le Collège estime, de surcroît, qu’un ordre d’achat unique n’est pas la preuve d’une connaissance des instruments financiers ni d’une expérience dans ce domaine.

 

Il va sans dire que l’on ne peut tenir aucun compte du profil souscrit l’année qui suit l’investissement, puisque c’est au moment de l’investissement qu’il convient de se placer pour passer le test de ‘suitability’. Le Collège observe que ce profil souscrit ultérieurement n’aurait en aucun cas pu justifier l’investissement litigieux, puisque la part en actions est limitée à 25% alors qu’en l’espèce il y a concentration des trois quarts des avoirs à investir sur une valeur unique, ce qui est très généralement considéré comme une gestion spéculative.

 

Le Collège souligne enfin que ses conclusions seraient identiques s’il fallait retenir l’absence de toute recommandation et appliquer les modalités retenues par l’article 27, § 5 de la loi du 2 août 2002. Pour les raisons déjà évoquées (connaissance insuffisante, absence d’expérience, concentration sur un risque unique, produit à haut risque), la banque aurait dû avertir spécifiquement son client que ce produit n’était pas approprié pour lui.

 

La faute de la banque et le dommage

 

En passant outre à son devoir d’abstention ou de mise en garde négative, la banque commet une faute. Le Collège estime également que le document publicitaire qui présente le produit, met abusivement en valeur le rendement des deux premières années sans attirer, de manière analogue, l’attention sur le risque important que présente le produit quant à la perte en capital.

 

Le requérant déclare qu’il ne voulait prendre aucun risque et cet objectif semble confirmé par le fait qu’il avait abandonné la gestion de fortune, précisément en raison des pertes encourues. La perte en capital subie par le requérant est la conséquence directe de l’investissement dans un produit qui lui a été recommandé.

 

Le Collège estime que la banque doit restituer le montant de l’investissement, majoré d’un intérêt de 1,5%, sous déduction des sommes perçues depuis la souscription par le requérant.

 

III. CONCLUSION

 

La plainte est recevable et fondée.

 

Le Collège invite la banque à créditer le compte du requérant du montant de l’investissement majoré de 1,5% l’an à titre d’intérêts, sous déduction du produit net des coupons payés contre restitution par le requérant des valeurs litigieuses.

 

La banque a suivi l'avis du Collège.