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Investissements, fonds de pension et titres – Achat et vente de titres – Autres – Plusieurs types d’instruments financiers ou plusieurs problématiques

2017.832

 

THEME

 

Investissements, fonds de pension et titres – Achat et vente de titres – Autres – Plusieurs types d’instruments financiers ou plusieurs problématiques

 

AVIS

 

Présents :

Madame M.-F. Carlier, Vice-Présidente ;

Messieurs E. Struye de Swielande, J. Vannerom, membres ;

Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 20 juin 2017

 

1.       Les Faits

 

  1. La requérante, avocate retraitée, et son fils, juriste au sein du secteur des assurances, ouvrent, chacun à titre personnel, un compte-titre auprès de la banque, respectivement en avril et août 2011. En août 2016, la requérante donne à son fils une procuration générale sur son compte-titre personnel. A l’occasion de ces ouvertures de compte, les formalités d’usage sont remplies, en ce compris la réponse par chaque titulaire à un questionnaire valant test de connaissances et expériences en matière d’investissement sur instruments financiers (appropriateness test tel que prescrit par MiFiD dans le cadre de comptes « execution only »). Les conclusions de ces tests, menés sélectivement en regard de chaque catégorie d’instruments financiers, sont les suivantes :

-          La requérante possède un niveau de connaissance et d’expérience adéquat pour investir en actions, en fonds complexes, en trackers/ETF complexes, en options long/short. Il n’est pas répondu aux questions portant sur les contrats futurs ;

-          Son fils possède un niveau de connaissance et d’expérience adéquat pour investir en actions, en fonds complexes et en trackers/ETF complexes. Il n’est pas répondu aux questions portant sur les contrats futurs. S’agissant des opérations en options long/short, le test conclut à une insuffisance de connaissance. Le client est néanmoins autorisé à effectuer des opérations sur cette catégorie d’instruments financiers après avoir, à chaque fois, marqué son accord sur l’avertissement transmis par la Banque que cet instrument n’est pas approprié en raison de son manque de connaissances et d’expériences, et après avoir confirmé par ailleurs que toute transaction sur cet instrument est négociée sous son entière responsabilité.

 

  1. En juillet 2014, un compte-titre est ouvert au nom de l’indivision de fait[1]. Outre les titulaires des deux comptes précités, l’indivision comprend aussi une troisième personne. La requérante est gérante de l’indivision et dispose qu’elle et son fils ont mandat pour agir séparément sur ce compte. Il n’est pas procédé à une mise à jour des tests d’appropriateness, et ce malgré la présence au sein de l’indivision d’une personne à propos de laquelle la Banque ne dispose pas d’informations concernant son niveau de connaissances et expériences en matière d’instruments financiers.

 

  1. Durant les premiers mois consécutifs à son ouverture, le compte bénéficie de l’apport progressif d’actions américaines et de liquidités. On observe ainsi qu’au 1er janvier 2015, le compte-titre détient des actifs valorisés globalement à € 490,4k. Durant 2015, et de manière encore plus accentuée en 2016, les opérations réalisées à l’initiative des titulaires portent majoritairement sur des produits optionnels dont la gestion traduit clairement une stratégie d’investissement s’articulant autour de deux vecteurs principaux de risques :

-          Le recours systématique à la vente à découvert d’options Put/Call sur un sous-jacent. Une stratégie de ce type table habituellement sur une relative stabilité du cours du sous-jacent dans l’espoir de pouvoir sauvegarder les primes perçues lors de ces ventes. Elle comporte en revanche un risque substantiel, voire illimité, si le sous-jacent enregistre à l’expiration un mouvement significatif, à la baisse ou à la hausse, qui contraint le vendeur de put (call) à acquérir (vendre) le sous-jacent à perte sans être compensé entièrement par les primes encaissées.

-          Le choix de diriger principalement cette stratégie optionnelle sur un sous-jacent libellé UVXY sur les bourses américaines. Il s’agit en réalité d’un ETF émis par ProShares, et dont les caractéristiques reprises ci-dessous dénotent à l’évidence un instrument financier éminemment complexe[2] :

o   L’ETF UVXY est un contrat futur à court terme cherchant à répliquer les performances journalières de l’indice des futures sur la volatilité à court terme des actions composant le S&P 500 ;

o   Ladite volatilité est représentée par l’index VIX qui reflète les attentes du marché en matière de volatilité future du S&P 500 telles qu’elles peuvent être déduites des volatilités implicites des options à court terme cotées sur ce même indice ;

o   L’ETF comporte un effet de levier de facteur 2 car les futures VIX ne répliquent l’index VIX qu’à hauteur de 45% sur base journalière ;

o   L’ETF réplique de manière très variable les mouvements observés au niveau de l’index VIX : de manière très faible lorsque les contrats sont à échéance éloignée (180 j), et de manière très fidèle lorsque l’échéance est très proche. En outre, comme l’ETF vise à répliquer des performances journalières, le fait de comporter un effet de levier contraint le gestionnaire de cet instrument (Proshares) à des ajustements quotidiens qui font dévier le return de l’ETF de celui du sous-jacent qu’il tente de répliquer ;

o   Indépendamment des variations observables au niveau de l’index VIX, L’ETF affiche au jour le jour une perte substantielle de valeur temps.

 

  1. Dans le cadre d’un service « d’execution only », la Banque met à disposition des clients une plateforme électronique munie d’une application comportant un outil transactionnel permettant de réaliser sur les marchés des opérations sur instruments financiers, ainsi qu’un outil de consultation du compte-titre où ces opérations sont comptabilisées et où les positions ouvertes qu’elles génèrent sont valorisées en continu. Cette application permet aussi d’avoir à tout moment une vision claire et consolidée du portefeuille, entre autres sur les paramètres suivants :

-          Le montant total de cash au crédit du compte ;

-          Le montant de cash qui, sur base d’un modèle de calcul qui lui est propre, est réservé par la Banque en garantie des positions à découvert en options ;

-          Le montant du cash disponible résultant de la différence entre les deux éléments précédents ;

-          La valeur de l’ensemble des positions en instruments financiers détenus dans le compte, en ce compris celles soumises à obligation de marges ;

-          La valeur totale du compte (Equity) obtenue par addition du montant total de cash et de la valeur de l’ensemble des positions. Une information sur le return du portefeuille est aussi affichée.

 

  1. Sur les positions ouvertes à découvert par la vente d’options qui créent à terme des obligations conditionnelles dans le chef du client (acheter ou vendre à l’échéance des titres à un prix convenu mais défavorable par rapport au prix du marché), la Banque réserve à cette fin dans son compte-titre une garantie (une marge) à valoir sur les avoirs cash du client. Dans le cas d’espèce qui nous occupe, la Banque procédait, jusqu’en juin 2016, à un calcul de garantie extrêmement simple et conservateur : la totalité du prix d’exercice de l’option put vendue est réservée en marge des avoirs cash du client en supposant que l’option sera exercée et que le client sera donc tenu, par assignation avant ou à l’échéance, d’acheter le sous-jacent à un prix convenu par le contrat d’option (le prix d’exercice). Une telle méthode dite de marge à 100 pct, garantit que le client, vendeur d’options put à découvert, sera toujours, le cas échéant, en mesure de faire face à ses obligations et elle permet par la même occasion à la Banque d’éliminer tout son risque.

 

  1. Conformément à une annonce commerciale diffusée en mars 2016, la Banque a procédé à des changements touchant à sa plateforme transactionnelle, notamment en offrant à sa clientèle, à partir du 2 juin 2016, une plus large gamme de stratégies applicables aux produits optionnels. Dans cette perspective, la Banque avait apporté en mai 2016 un addendum à ses Conditions Générales relatif à la négociation d’options sur sa plateforme. L’offre élargie de produits négociables a dans le même temps été menée de pair avec une refonte substantielle des garanties que la Banque retient en sureté des engagements conditionnels contractés par les vendeurs à découvert d’options put/call. La nouvelle méthodologie de calcul de marges est détaillée dans la mise à jour du Manuel d’Options ; elle est désormais basée sur une combinaison de formules qui permettent de fixer, pour chaque position ouverte ou en fonction de la stratégie identifiée, une marge en fonction de la nature et du prix de son sous-jacent, de sa volatilité, du prix d’exercice de l’option, de son échéance et de sa liquidité. Le client n’est toutefois pas en mesure de consulter en ligne le montant de marge réservé pour chaque position ouverte : seul le montant global du cash réservé sur l’ensemble des positions à la baisse et à découvert est consultable à tous moments en temps réel. A position et valorisation constantes, la nouvelle méthodologie requiert moins de garanties que précédemment et offre dès lors aux clients la possibilité, au niveau de leurs stratégies, d’exploiter de façon plus effective l’effet de levier inhérent aux produits optionnels : avec pour conséquence des profils de returns attendus plus prononcés, aussi bien positifs que négatifs.

 

  1. En date du 1er juin 2016, La Banque confirme par mail à l’attention des plaignants qu’une nouvelle méthodologie de calcul de marges sera d’application dès le 2 juin, laquelle implique l’abandon de la garantie à 100% retenue jusqu’alors sur les positions short à découvert en options put/call. Le même mail précise toutefois que, compte tenu de la composition de leur portefeuille observée à cette date en produits optionnels sur des sous-jacents assez volatils libellés en USD, le nouveau système de calcul de marges déviera peu du précédent. Dans le même mail, et se basant sur l’historique du compte, la Banque attire l’attention des clients sur l’utilisation substantielle de cash du portefeuille pour couvrir des positions à découvert et les conseille de suivre de près l’évolution de leur compte.

 

  1. En réponse à un mail qui lui a été adressé en date du 11 juin 2016 par les plaignants et contenant une demande de maintenir le système antérieur de garantie à 100 pct en ce qui concerne leurs comptes, la Banque répond qu’elle n’est pas en mesure de donner suite à cette demande et ajoute qu’il relève de la décision des clients d’agir dans ce sens s’ils souhaitent assurer une telle couverture de leurs risques.

 

  1. Le 25 juillet 2016, l’émetteur des ETF UVXY procède à un reverse split sur cet instrument financier à raison d’un ETF nouveau pour cinq anciens ; cette opération est le plus souvent motivée lorsque l’ETF se négocie à des cours nominaux trop bas (moins de USD 5) que pour continuer à retenir l’attention des investisseurs, ce qui induit le risque d’un manque de liquidité du produit sur les marchés. Toutes choses égales par ailleurs, le reverse split est une opération qui n’affecte pas la valeur économique de l’instrument concerné : un client détenant 10 ETF valant 3 USD, détiendra désormais 2 ETF valant 15 USD à l’issue d’un reverse split de 5:1. Il n’y a donc aucune raison pour que la valeur économique des options sur le même sous-jacent soit affectée, pas plus que le montant des marges nécessaires à leur couverture.

 

  1. Toutefois, à l’occasion du reverse split sur UVXY, la Banque traduit de manière erronée cette opération au niveau du calcul des marges aussi bien pour les options put que les options call qui étaient affectées par cette opération ; avec pour conséquence de surestimer de manière significative les marges nécessaires à la couverture de 90 options call à la baisse, et de sous-estimer tout autant celles nécessaires à la couverture de divers contrats d’options put à la baisse. Alors que l’erreur sur les options call a été rectifiée après quelques jours, notamment parce qu’elle aurait entrainé la mise en route injustifiée d’une procédure de découvert, l’erreur sur les options put ne l’a pas été et a eu pour effet de fixer une exigence de marge sur ces options sensiblement en-deçà de ce qu’elle aurait dû être.

 

  1. Pendant la seconde moitié de 2016, le compte des plaignants enregistre des opérations qui se concentrent en majorité sur des options put UVXY. Elles ont pour effet d’entamer sensiblement la valeur du portefeuille qui, à fin 2016, s’est entièrement évaporée alors qu’elle affichait un solde positif de 238,8 k au début juillet 2016.

 

  1. Début janvier 2017, les plaignants adressent à la banque plusieurs courriels afin d’avoir une vue précise des marges qui sont retenues par la Banque au niveau de chaque position. La question est posée en raison de la perspective d’un nouveau reverse split du sous-jacent UVXY annoncé pour le 12 janvier 2017, mais aussi en raison de la préoccupation de savoir si les positions sur options sont en définitive couvertes à 100%. A la lecture d’une réponse de la Banque datée du 15 janvier, il ressort que les marges retenues sur certaines positions d’options (UVXY2) sont largement insuffisantes dans les trois comptes familiaux. Cette insuffisance résulte à l’évidence d’une erreur de la Banque qui a appliqué sur ces positions d’options à la baisse ouvertes avant le reverse split intervenu au niveau du sous-jacent UVXY en date du 27 juillet 2016, des marges qui valorisaient implicitement ces options puts bien en deçà de leur valeur réelle.

 

  1. Un mail du 27 janvier 2017 émanant automatiquement de la Banque invite les plaignants à apurer le découvert de leur compte cash. Un mail du 30 janvier réitère la demande en fixant une échéance au 9 février, date à laquelle la procédure de découvert serait enclenchée. Des échanges de vues et réunion entre les parties se succèdent et aboutissent, malgré la promesse de la Banque de patienter jusqu’au 9 février, à ce que la procédure de découvert soit effectivement enclenchée le 1er février. Cette procédure qui est évoquée dans le Manuel des Options de la Banque (point 10.2) et qui est détaillée dans l’Addendum de ces Conditions Générales relatif à la négociation d’options (point VI), est enclenchée en raison d’une insuffisance de cash pouvant être réservée pour les marges, et elle conduit la Banque à liquider les positions du portefeuille pour générer du cash. Si une telle liquidation ne suffit pas à couvrir le découvert, le client est alors débiteur vis-à-vis de la Banque et celle-ci se réserve le droit d’entamer toute procédure lui permettant de recouvrer sa créance.

 

  1. Les développements intervenus depuis début janvier ont conduit la requérante et son fils à adresser, le 20 mars 2017, formellement à la Banque une plainte dans laquelle tout l’historique du litige est évoqué et qui, selon eux, les autorise, en raison d’erreurs commises par elle, à réclamer l’indemnisation d’un préjudice réel. Une première estimation de ce préjudice avait déjà été communiquée à la Banque par courrier daté de 24 janvier et portait sur un montant de USD 140.936 pour le compte en indivision et sur un montant de USD 10.405 pour le compte de la requérante. Plus tard, le fils adressait le 6 mars un courrier dans lequel il fixait pour son compte personnel le préjudice à USD 8.918 (porté ensuite à USD 11.960 par mail du 4 avril). Un courrier du 8 (9) mars précise toutefois que, pour le compte en indivision, le préjudice est estimé à tout le moins à € 103.045.

2.       Votre plainte :

2.1         Les plaignants formulent vis-à-vis de la Banque trois reproches qui, selon eux, ont concouru à la perte subie au niveau de leur portefeuille et qui justifient la réparation d’un préjudice qu’ils sont en mesure de chiffrer :

-          Malgré leur demande, la Banque a refusé d’appliquer un système de garantie à 100% qui devait totalement couvrir le risque des positions en options à la baisse du portefeuille ; cette carence les ayant conduits à disposer des liquidités disponibles telles qu’affichées dans le module de consultation du portefeuille.

-          Lors du reverse split de juillet 2016, la Banque a procédé à un calcul erroné des marges qui a eu pour effet de sous-estimer significativement les liquidités réservées à cet effet et qui, par voie de conséquence, a donné lieu à une image trompeuse du cash disponible pouvant éventuellement être affecté à d’autres investissements. La même erreur a du reste aussi eu une incidence sur la possibilité, vers l’échéance, de procéder, comme dans le passé, à une prolongation (roll over) des positions ouvertes en raison du surcroît de cash qu’une opération de ce type aurait requise;

-          La procédure de découvert a été enclenchée le 1er février 2017 par la Banque en dépit de l’engagement notifié par mail invitant les clients à une réaction appropriée pour le 9 février et après une réunion organisée le jour même en présence des clients au siège de la Banque.

 

 2.2.   S’agissant de leur préjudice, les plaignants estiment que leur dommage est étroitement lié à la fois à l’insuffisance de marge par rapport à une marge théorique de 100% ainsi qu’à l’erreur de la Banque de ne retenir que 20% de marge après le reverse split de juillet 2016. Ce dommage est chiffré pour différents comptes aux montants repris au point 1.14 supra.

 

3.       POSITION DE LA BANQUE

3.1   Fondamentalement, la Banque fait valoir que les plaignants ont adopté une stratégie d’investissement très risquée consistant à vendre à découvert des options, principalement put, sur un sous-jacent UVXY comportant un effet de levier. L’évolution du sous-jacent n’ayant pas eu un profil conforme à cette stratégie, et en raison de la pratique des plaignants de réaliser des reports dans le temps de leurs risques optionnels sans que ceux-ci, bien au contraire, ne diminuent, la valeur de leur portefeuille s’est dégradée au point de présenter une situation de cash insuffisante en regard des options à découvert pour lesquels la Banque réclamait une couverture. Ladite insuffisance a donné lieu, le 1er février 2017, au déclenchement de la procédure de découvert que la Banque déclare conforme à toutes les dispositions de ses Conditions générales et qui se traduit par la liquidation forcée des positions du compte.

 

  1. Lors de sa présentation du dossier au Collège, la Banque a reconnu avoir commis une erreur dans le calcul des marges relatives aux positions d’options à l’occasion du reverse split de l’ETF UVXY intervenu en juillet 2016. Cette erreur est, selon elle, sans incidence sur le fond du problème. Dans un courriel adressé le 25 août, la Banque revient toutefois sur son affirmation et déclare qu’aucune erreur n’a été commise.

4.       AVIS DES EXPERTS[3]

4.1   Dans l’analyse du litige qui oppose les parties, il importe que le Collège établisse si le dommage des plaignants, et dès lors leur préjudice, est directement relié aux trois reproches faits à la Banque. En d’autres mots, y a-t-il un lien causal incontestable et direct démontrant que les actes reprochés ont engendré le dommage et que donc, sans la cause, le dommage ne se serait pas produit ?

 

  1. En ce qui concerne le premier reproche des plaignants, à savoir le refus de la Banque de maintenir un système de 100 % de garantie, le Collège tient à mettre en évidence les éléments suivants de son analyse :

 

4.2.1 Un système de marges à 100% ne constitue en aucun cas une garantie pour le client que des pertes peuvent être évitées, même sur la totalité du capital investi. Les marges sont retenues par la Banque, non pour protéger le client des risques de ses stratégies d’investissement concrétisées, dans ce cas-ci, par des positions non couvertes à la baisse, mais dans l’unique but de protéger le risque qu’elle supporte en tant qu’intermédiaire entre son client, d’une part, et le marché sur lequel les opérations à la baisse du client ont été négociées et pour lesquelles la Banque prend l’engagement d’honorer les obligations qui pourraient en découler, d’autre part. La marge constitue dès lors une couverture à court terme du risque de la Banque qui lui permet, selon ses estimations, de réagir sans perte à une éventuelle défaillance de son client. Elle ne constitue dès lors en aucune manière une protection absolue contre le caractère spéculatif d’un investissement ni a fortiori contre les pertes qu’il peut occasionner.

 

  1. L’aménagement de la politique de marges mise en œuvre par la Banque en juin 2016 a été mené de pair avec une révision commerciale des produits d’options offerts à la négociation à sa clientèle. Le nouveau système de marges est moins rigide que le précédent et vise à encadrer le risque couru par la Banque sur chaque position d’option de ses clients en tenant compte, de manière différenciée, des caractéristiques de chacune de ces positions (échéance, prix d’exercice, liquidité, volatilité, etc) ainsi que de la stratégie mise en place. Ce nouveau système s’accorde, à quelques nuances près, avec une méthodologie appliquée par la très grande majorité des intermédiaires financiers pour gérer de manière adéquate les risques de ce type, et il fait, dans cette perspective, l’objet d’évaluation de la part des organes de marché et des régulateurs.

 

  1. Le Collège peut comprendre que les plaignants, comme ils le revendiquent, aient voulu rester fidèles à une approche, selon eux, plus conservatrice quant à leur propre gestion de risque. Mais il ne comprend pas pourquoi les mêmes plaignants avouent avoir disposé dans le même temps pour leurs investissements des liquidités supplémentaires libérées par le nouveau système de marges sans avoir su prendre connaissance, comme ils le prétendent, de la nouvelle marge de manœuvre qui leur était offerte ; ils ont forcément dû puiser cette information en consultant le module affichant, entre autres, la situation du cash réservé et du cash disponible. Ils ont donc délibérément, comme ils l’admettent, pris des décisions d’investissement dont ils ne peuvent dès lors pas repousser la responsabilité vers la Banque. Le Collège observe du reste que si l’intention des plaignants avait réellement consisté à rester fidèle à un système de marges à 100%, il leur eût été très facile d’agir de la sorte en réservant en permanence, pour chaque position d’options put à la baisse, du cash à hauteur d’une formule simple (Nbr de puts*Prix d’exercice*Quotité du contrat) : calcul qu’ils n’ont eu aucune peine à faire valoir dans l’argumentaire de leur plainte (pièce 28).

 

  1. Le Collège considère dès lors qu’au vu des éléments exposés ci-dessus, le nouveau système de marges mis en place en juin 2016, même s’il a conduit à pouvoir faire usage d’un effet de levier plus marqué qu’auparavant, ne constitue en aucune manière une cause au dommage invoqué par les plaignants.

 

  1. S’agissant du reproche formulé par les plaignants concernant l’erreur de calcul des marges à l’occasion du reverse split de juillet 2016 comme étant constitutive d’une information erronée et trompeuse les ayant conduits à ouvrir des positions en méconnaissance de cause et que, selon eux, la Banque aurait dû refuser, le Collège tient à faire les observations suivantes :

 

  1. Entre début juin 2016 et la date du reverse split, les plaignants ont entrepris d’orienter de plus en plus leur stratégie de gestion en faisant un pari sur l’évolution haussière du sous-jacent UVXY, notamment en désinvestissant dans d’autres actifs du portefeuille pour générer du cash destiné à couvrir un nombre croissant de positions put à la baisse en UVXY, celles-ci étant passées de 150 contrats à fin mai 2016 à 245 contrats à fin juin 2016. Cette accentuation de la stratégie par ventes d’options put, renforcée par la baisse du cours de leur sous-jacent, s’est traduite à fin juillet 2016 par un quasi doublement de la valeur de marché des positions à la baisse en options détenues en portefeuille. Le Collège ne peut dès lors pas retenir l’argument des plaignants qui se disent victimes d’une information erronée dans leurs décisions d’investissement alors que celles-ci avaient déjà entamé un tournant nettement plus agressif avant que l’opération de reverse split n’intervienne.

 

  1. Quant à la manière dont la Banque a traduit l’opération de reverse split au niveau des marges du client, le Collège est étonné des déclarations pour le moins contradictoires qui lui ont été faites à ce propos. Alors que l’erreur a été admise par un représentant de la Banque lors de la réunion du Collège du 20 juin et confirmée par ce même représentant lors d’une réunion tenue le 4 août, un courriel du 25 août déclare qu’il n’y pas eu d’erreur et que la Banque n’a fait qu’appliquer, moyennant un léger délai, les calculs du dépositaire. Cette confusion dans les déclarations n’aide pas le Collège à comprendre pour quelle raison alors, au cours de la semaine précédant le reverse split, des marges de € 395 k sont retenues pour couvrir un portefeuille dont la valeur négative est de € 250 k, et que le même portefeuille d’une valeur négative à peu près identique ne génère une obligation de marge que pour     € 270 k au cours de la première semaine du mois d’août[4].

 

  1. Le Collège ne souscrit néanmoins pas à l’argument des plaignants que la même information erronée et trompeuse a mis fin à la mise en place de stratégies produisant des résultats positifs jusqu’en janvier 2017, dès lors que cette argumentation repose sur une analyse simpliste et partielle de leur stratégie. A l’appui de leur argument, les plaignants produisent en effet un tableau où sont additionnées les primes encaissées par la vente d’options put et call UVXY dont sont déduits les montants déboursés lors de l’assignation des options ayant donné lieu à exercice. Ils concluent ainsi au caractère bénéficiaire de leur stratégie en démontrant qu’elle génère de la liquidité. Une telle conclusion omet curieusement d’analyser et de valoriser le risque financier que comporte l’ensemble des positions à la baisse en options qui restent ouvertes dans le portefeuille. Lorsqu’on intègre ce dernier élément dans l’analyse, le Collège est forcé de constater qu’une toute autre conclusion se dégage; en effet, lorsque l’on se penche sur l’évolution de la valorisation totale du portefeuille des plaignants qui s’obtient par addition du cash détenu (cash réservé + cash disponible) et de la valeur des positions de tous les autres actifs, on observe que si au 1er janvier 2015 ce portefeuille se valorisait à          € 490 k, sa valeur avait déjà fondu à € 178 k au 1er août 2016 (six jours après le reverse split) et affichait une valeur de portefeuille proche de zéro à fin novembre 2016. Le Collège estime que l’approche patrimoniale d’une telle analyse, qui n’attribue du reste aucun rôle déterminant au cash disponible et à fortiori aux taux de marge appliqués, est nettement plus pertinente pour juger de l’efficacité d’une stratégie d’investissement. Et force est de constater que pour le dossier considéré cette stratégie s’est soldée par un échec. Le Collège est en outre surpris de constater que les plaignants se soient uniquement focalisés sur la lecture à l’écran des données de cash disponible, sans porter, malgré plusieurs milliers de connexions à la plateforme, aucune attention sur la dégradation progressive de la valeur de leur portefeuille qui s’affichait sur le même écran. Et le Collège ne comprend pas davantage pour quelle raison les plaignants ont pris l’initiative, en août et septembre 2016, alors que la valeur du portefeuille continuait à se détériorer, de transférer        € 44 k vers des comptes extérieurs et, au surplus, de réaliser des transferts internes de cash vers d’autres comptes familiaux qui ont appauvri le compte familial pour € 16 k. Ces retraits affaiblissent sensiblement l’argument des plaignants selon lequel, en raison de l’erreur de calcul de la Banque et de son effet lors de l’échéance des contrats d’options, ils n’ont pas disposé de liquidités suffisantes pour couvrir les opérations de prorogation qu’ils envisageaient à fin 2016.

 

  1. Sur base de éléments exposés ci-dessus, et sans méconnaître le reproche des plaignants que la Banque ait commis une erreur dans le calcul des marges suite au reverse split de juillet 2016, le Collège est d’avis que les pertes encourues sont en réalité attribuables principalement à une stratégie ébauchée dès le départ et suivie avec obstination en 2016, sans que l’erreur de la Banque n’ait constitué un élément déterminant en la matière. Dès 2015, et de manière accentuée en 2016, cette stratégie a consisté à faire un pari sur une hausse-ou à tout le moins sur une stabilité, de la volatilité sur le marché des actions américaines en vendant à découvert des options, majoritairement des options put, sur un sous-jacent sensé évoluer en parallèle avec cette volatilité. Ce faisant, les plaignants étaient gagnés par la conviction qu’une hausse de volatilité allait se produire tôt ou tard et ils n’ont dès lors cessé de proroger dans le temps leurs positions. En réalité, la volatilité a persisté à évoluer en sens contraire au point que le sous-jacent UVXY des options a perdu près de 95 pct de sa valeur sur moins de deux ans. Et contrairement à l’affirmation des plaignants comme quoi une tendance baissière de cette ampleur n’est pas préjudiciable à leur stratégie tant que les options à la baisse peuvent être reportées dans le temps, une telle évolution a conduit à une évaporation complète de la valeur de portefeuille qui ne permettait plus d’envisager, sans l’apport de garanties supplémentaires, la poursuite de ladite stratégie.

 

  1. En ce qui concerne le reproche des plaignants à l’encontre de la Banque pour avoir procédé, en date du 1er février 2017, à la liquidation des positions à découvert du portefeuille, en violation d’un engagement écrit de sa part de leur laisser jusqu’au 9 février pour couvrir un solde débiteur de l’ordre de € 100 k et de leur permettre ainsi d’apurer ce découvert, voire d’apporter des moyens complémentaires, le Collège tient à formuler les observations suivantes :

 

  1. Il est incontestable que les plaignants ont reçu des messages contradictoires de la Banque, sans doute en raison d’une communication interne défaillante au sujet de ce dossier. Toujours est-il que le solde débiteur à couvrir et la perte qui est actée à cette date sont des réalités qui sont la résultante d’une stratégie d’investissement et qu’il a fallu couvrir. Et prétendre, comme le font les plaignants, qu’en exécutant une telle couverture endéans le délai imparti, ils se seraient retrouvés dans une position leur permettant de proroger les contrats et de poursuivre leur stratégie qualifiée de bénéficiaire, relève, selon le Collège, de l’illusion, sauf à supposer qu’ils auraient fait l’apport de moyens financiers additionnels.[5]

 

  1. Au vu des données fournies à sa demande par la Banque, le Collège se pose toutefois la question de savoir si une procédure de découvert, voire de liquidation, n’aurait pas dû être activée plus tôt, et, dans l’affirmative, si les plaignants ne se seraient alors pas retrouvés dans une situation moins défavorable qu’au 1er février. Cette question, qui va certes à l’encontre de la logique argumentaire des plaignants et qui prend même pour hypothèse audacieuse que les marges sont correctement calculées, mérite d’être posée afin d’évaluer si la Banque, même dans le cadre d’un service de pure exécution, a fait preuve de diligence nécessaire pour défendre leurs intérêts. Le Collège observe en effet qu’à partir du 9 décembre 2016, la valeur totale du portefeuille affiche une valeur légèrement négative qui ne fait qu’augmenter dans les jours et semaines qui suivent, sans que la Banque ne juge utile d’intervenir, par avis aux clients, avant le 27 janvier et par liquidation forcée au 1er février. La Banque se retranche derrière son affirmation que dans une telle situation, la marge n’est plus relevant, tout en reconnaissant, de façon assez paradoxale, que la vente des titres du portefeuille ainsi que le cash disponible ne suffisent pas à racheter les positions à la baisse en options.[6] Le Collège ne comprend dès lors pas pour quelles raisons la Banque n’est pas intervenue en temps opportuns. Le fait de signaler que les clients étaient au fait de cette situation n’exonère pas la Banque de sa responsabilité pour manque d’intervention, d’autant plus que les dispositions de son Manuel d’Options et de ses Conditions Générales l’y autorisaient.

 

  1. Décision du Collège

 

Le Collège conclut que la plainte des clients est recevable et partiellement fondée. Les montants de préjudice avancés par les plaignants étant toutefois sans fondement au motif que les causes invoquées ont été rejetées, le Collège recommande aux parties de s’accorder, pour les trois comptes familiaux, sur le montant du dommage en se référant aux responsabilités mises en évidence pour chacune d’elles dans le cadre de la présente analyse du litige. Le Collège est en outre d’avis que la Banque, en raison du manque de diligence qui peut lui être reproché, doit prendre en charge dix pourcent du dommage ainsi convenu. Les parties sont invitées à communiquer endéans les trente jours au Collège le résultat de l’accord convenu à cette fin.

 

6           CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN

Suite à l’introduction de la présente plainte et après analyse du Collège, l’Ombudsman informe les plaignants qu’il se rallie à son avis.

Il invite dès lors la Banque à communiquer endéans les 30 jours à Ombudsfin le résultat de l’accord convenu à cette fin.

 


[1] Dans son analyse du litige, le Collège se cantonnera volontairement aux développements enregistrés au niveau de ce compte ; les observations qu’il formule dans ce cadre pourront, en tout ou en partie, s’appliquer aux deux autres comptes familiaux.

[2] Pour une analyse détaillée des risques et des mises en garde au sujet des investissements en ETF avec effet de levier, il est utile de se référer au site « Market Realist » à l’adresse http://marketrealist.com/2014/06/overview-key-guide-investing-exchange-traded-funds/

[3] Le collège s’est réuni le 20.06.2017 en présence de Monsieur A. Van Oevelen (Président), Madame N. Spruyt, Madame M. Mannes, Monsieur E. Struye de Swielande, Monsieur J Vannerom (Membres) et l’avis a été définitivement approuvé par les experts, le 25.09.2017.

[4] La même interrogation quant à l’existence d’une erreur se pose aussi lors de l’application du reverse split du 12 janvier 2017 ; les exigences de marges baissent significativement alors que la valeur négative du portefeuille reste inchangée.

[5] Après le 1er février, le marché sur UVXY a continué à évoluer en sens inverse de la stratégie si celle-ci avait pu se poursuivre (cours en USD d’ UVXY au 1/02 = 96.6, au 01/05 = 52.4 et au 14/7 = 34.24 veille d’un nouveau reverse split de 1/4.

[6] Cfr point 5) de leur mail du 25 août 2017