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Produits complexes risqués - absence d'évaluation des connaissances et expériences du client - publicité trompeuse.

2013.2422

 

THEME

 

Produits complexes risqués - absence d'évaluation des connaissances et expériences du client - publicité trompeuse.

 

AVIS

 

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres.
Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 19 août 2014

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

En 2006, la sœur du requérant, alors âgée de 68 ans, ouvre un compte dans les livres de la banque. Le requérant était son mandataire et gérait ses avoirs à ce titre. Une vingtaine d’opérations de bourse seront passées entre mars 2005 et octobre 2006, concernant principalement des sicafi, une action, une obligation convertible et 3 sicavs.

 

En 2006, le requérant, lui-même pensionné, expose avoir été approché par le délégué de la banque pour souscrire à une valeur X décrite comme « adossée à un panier de 20 actions internationales » et garantissant un coupon de 8% au cours des deux premières années. Le remboursement au terme de 5 années dépend de l’évolution d’un panier de référence composé des 5 actions ayant le moins bien performé. En cas de baisse de plus de 40% de ce panier de référence, le capital peut être totalement perdu.

 

Le requérant déclare avoir été convaincu de la qualité de cette valeur par les délégués de la banque. Il décide alors d’ouvrir à son tour, un compte auprès de la banque. Il investit à titre personnel une somme de 39.000 € et pour sa sœur, une somme de 23.000 € dans la valeur X.

 

En juin 2008, suite à une lettre émanant de la banque, le requérant déclare avoir investi 14.000 € en son nom et 8.000 € sur le compte de sa sœur dans une valeur Y présentée comme « une structure liée à un panier de 8 actions internationales de premier plan » offrant un coupon conditionnel de 19%. Ce coupon est garanti pour autant qu’aucune des 8 actions ne soit en baisse de plus de 50% par rapport à son niveau de départ. Le remboursement de 100% au terme de 5 années n’est garanti que pour autant qu’aucune des actions du panier de référence ne baisse de plus de 50%.

 

La communication publicitaire adressée par la banque est rédigée sous un slogan repris en lettres grasses : Faites décoller votre épargne ! Objectifs : 19% par an. La brochure commerciale de présentation met en évidence, sous le même slogan, des résultats historiques encourageants en se fondant sur 4.749 simulations et souligne : Historiquement, le rendement annualisé moyen a été de plus de 15% par an ! Dans plus de 94% des cas, le rendement annuel aurait été supérieur à 10%.

 

L’évolution des valeurs X et Y s’est très sensiblement écartée des rendements historiques en raison de la crise financière de 2008. Une dépréciation considérable est apparue dès cette époque et la perte a atteint, au total, pour les deux produits confondus, plus de 82% de l’investissement initial.

 

La banque avec laquelle le requérant avait traité les opérations litigieuses a été reprise par l’actuelle comparante.

 

La sœur du requérant décède en octobre 2012.

 

Le 27 avril 2013, le requérant adresse une plainte recommandée à la banque. Il précise : vu notre profil défensif, nous avions été attiré par les 2 coupons de 8% et la démonstration dans les simulations du prospectus que (cette valeur) aurait toujours été remboursée par anticipation. En ce qui concerne la valeur Y, le requérant précise avoir investi suite à la proposition commerciale reprise dans la lettre du 21 mai 2008 attiré à nouveau par les coupons annuels et la valeur du panier des 8 actions (selon vous).

 

Les informations communiquées par la banque concernant le profil des investisseurs sont très fragmentaires, peut-être en raison des changements intervenus dans la structure de l’entreprise. L’expérience du requérant se limite à des opérations ponctuelles sur des valeurs courantes. Le requérant admet de son côté « avoir parfois boursicoté mais (…) toujours de ma propre initiative sans influence personnelle de quiconque en consultant par ci et par là des infos (journaux, Test‑Achats) ». La banque admet qu’il s’agit d’épargnants modestes et n’est pas en mesure de produire un questionnaire MiFID antérieur aux investissements.

 

Le requérant estime que la banque doit intervenir dans les pertes qu’il a subies parce que c’est sur la recommandation de la banque qu’il a investi dans les produits litigieux. Il précise : ce n’est pas un manque d’info qui nécessairement m’a causé préjudice mais ces pressions de vos délégués qui m’ont fait investir.

 

La banque estime, de son côté, qu’elle n’a commis aucun manquement quant à son devoir d’information, qu’elle a remis les brochures descriptives des caractéristiques et risques (ce qui est contesté par le requérant), que le requérant disposait d’une expérience boursière, qu’il suivait les informations financières, qu’il prenait ses décisions lui-même et généralement de sa propre initiative.

 

La banque considère donc que son client disposait des connaissances et de l’expérience requises pour décider d’investir de manière éclairée et avec conscience du risque. En ce qui concerne la valeur Y, la banque souligne que la décision a été prise lors de plusieurs contacts avec la banque.

 

II. AVIS DU COLLEGE

 

Le Collège constate que le cadre normatif diffère pour les deux acquisitions. L’investissement dans la valeur X intervient en 2006, avant l’entrée en vigueur de la législation résultant des directives MiFID laquelle s’applique, par contre, à l’investissement effectué en juillet 2008.

 

En ce qui concerne la valeur X (en 2006), le Collège s’étonne du caractère tardif de la réaction du requérant intervenue en 2013, alors que le produit est remboursé (avec pertes) depuis près de deux ans et que la perte de valeur est acquise depuis cinq années. En s’abstenant de toute réaction pour lui-même et pour sa sœur, tant au moment de l’effondrement de la valeur qu’au moment du remboursement, le requérant semble admettre avoir investi en connaissance de cause. Par ailleurs, il reconnaît qu’en raison de l’écoulement du temps, il ne dispose plus des éléments de preuve et ceci vaut également pour la banque. Aucune preuve n’est rapportée et ne peut plus être rapportée d’un démarchage commercial agressif pouvant s’assimiler aux pressions invoquées par le requérant.

 

Il est incontestable que le produit proposé était un produit complexe comportant des risques importants mais difficilement appréciables pour le requérant. Le Collège ne décèle cependant aucune faute dans l’attitude de la banque au regard des pratiques de l’époque et du cadre normatif alors en vigueur.

 

En ce qui concerne la valeur Y (2008), la lettre du 21 mai 2008 doit être analysée comme une recommandation personnalisée à l’initiative de la banque. A ce titre, cette lettre constitue un conseil en investissement (Loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement, art. 46, 9°; art. 2, 24°, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers).

 

Le Collège constate que la banque n’a pas respecté les règles beaucoup plus strictes entrées en vigueur le 1er novembre 2007, suite à la transposition des directives MiFID. Ainsi et notamment :

 

·        La banque a fourni un conseil en investissement sans se procurer auprès du client ou du client potentiel les informations nécessaires concernant ses connaissances et son expérience en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière et ses objectifs d'investissement (loi du 2 août 2002, art. 27, § 4).

 

·        La valeur Y est une valeur particulièrement complexe qui ne pouvait pas être recommandée au vu des connaissances et de l’expérience du requérant.

 

·        La brochure publicitaire met quasi exclusivement en évidence les avantages potentiels de la valeur Y  sans indiquer aussi, correctement et de façon bien visible, les risques éventuels correspondants (AR 3 juin 2007, art. 8, § 2).

 

La valeur Y ne pouvait donc être recommandée ni au requérant ni à sa sœur. La banque doit restituer le montant de l’investissement, majoré des intérêts compensatoires.

 

Dans le cadre du présent litige, le requérant ne démontre pas sa capacité à représenter la succession de sa sœur. Il convient donc d’inviter les parties à rechercher amiablement une solution analogue avec les héritiers légitimes.

 

III. CONCLUSION

 

Le Collège invite la banque à restituer au requérant la somme de 14.000 euros, majorée des intérêts calculés au taux de 2% depuis le 1er août 2008 jusqu’au jour du paiement, sous déduction des coupons éventuellement payés par la valeur Y.

 

Le Collège invite le requérant et la banque à rechercher une solution identique avec les héritiers de la sœur du requérant pour l’investissement de 8.000 euros dans cette même valeur Y. 

 

La banque n'a pas suivi l'avis du Collège.