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Epargne – Compte d’épargne – Garanties locatives

 

2016.1235

 

THEME

 

Epargne – Compte d’épargne – Garanties locatives

 

AVIS

 

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, L. Jansen, membres

Mesdames N. Spruyt, M. Mannès, membres.

 

Date : 20 septembre 2016

 

 

1.         VOTRE PLAINTE

 

Le requérant a donné en location, un bien sis à Woluwé-Saint-Pierre, par l’intermédiaire d’une agence immobilière. Lors de la conclusion du contrat, il a été convenu de constituer une garantie locative sous forme de dépôt auprès de la banque.

 

Or le requérant a signé avec le locataire une demande de constitution de garantie locative datée du 01/03/2012 qui mentionne notamment dans ses coordonnées une adresse erronée. Le montant de la garantie locative a été versée, le 01/03/2012 sur un compte épargne ouvert à cet effet par le locataire et la preuve de ce dépôt a été remise au requérant par le locataire mais compte tenu de certains éléments manquants, la banque a estimé que cette garantie n’était pas valablement constituée et la somme de 1.900 euros a été restituée, le 23/04/2012, sur le compte du locataire. La banque indique avoir avisé le requérant par courrier de cette restitution mais ce courrier a été adressé le 11 avril 2012 à une mauvaise adresse.

 

Le requérant n’a donc jamais été informé de ce que la garantie locative n’avait pas été bloquée et que de surcroît, elle était restituée. Il pensait légitimement que celle-ci était constituée.

 

Or le requérant a obtenu par jugement prononcé le 15 décembre 2015 par le Juge de paix compétent, la résolution du contrat de bail aux torts du preneur et la libération totale de la garantie, qu’il pensait correctement constituée, en sa faveur.

 

C’est au moment de la présentation de ce jugement à la banque que le requérant s’est rendu compte que l’argent avait été versé sur le compte de son ancien locataire sans son accord. Il considère que cette pratique est inacceptable et réclame que la banque intervienne en lui restituant cette somme de 1.900€.

 

2.         POSITION DE LA BANQUE

 

La banque considère que cette garantie locative n’a pas été constituée car certains documents ou éléments manquaient : le contrat de bail, le compte épargne garantie locative signé par un seul locataire, et la convention de garantie locative comportait des ajouts manuscrits. La banque considère que le défaut de constitution de la garantie locative a été dûment communiqué aux parties et la banque réfute l’argument du privilège du bailleur visé à l’article 10 car il présuppose une garantie locative valable.

 

La banque refuse donc d’intervenir.

 

3.         AVIS DES EXPERTS[1]

 

Les experts ont pris connaissance de la longue argumentation développée par la Banque mais ne peuvent suivre sa thèse pour les raisons suivantes :

 

a.       Le bailleur et le locataire ont signé un formulaire remis par la banque et intitulé Convention en exécution d’un contrat de bail. Il n’existe aucune contestation quant au consentement échangé entre les parties pour la constitution de la garantie locative. Si l’indication d’un deuxième locataire est manuscrite, ces mentions manuscrites sont ratifiées par la signature des parties. Rien n’interdit par ailleurs que la garantie locative soit constituée par le dépôt d’un seul locataire voire même d’un tiers. Les experts en concluent que la convention de gage est valable entre parties et n’est d’ailleurs contestée par personne.

 

b.       Le gage était et est un contrat réel, accessoire et unilatéral[2] selon la doctrine traditionnelle[3] confortée par plusieurs arrêts de la Cour de cassation[4]. Cette solution traditionnelle n’est plus pertinente pour les gages sur créances, depuis la modification de l’article 2075 du Code civil par la loi du 6 juillet 1994.  Selon l’article 2075, « le créancier est mis en possession de la créance gagée par la conclusion de la convention de gage ». Le contrat de gage est donc un contrat consensuel[5] certainement en ce qui concerne le gage sur créance mais pour toute forme de gage[6].

 

c.       Les parties ont conclu un contrat intitulé « convention en exécution d’un contrat de bail » qu’elles ont toutes deux signé le 1er mars 2012. La conclusion de ce contrat a été accompagnée, le même jour, du dépôt des fonds sur le compte individualisé dans les livres de la Banque dont le numéro est pré-imprimé sur le formulaire signé par les parties. Le gage est donc né entre parties le 1er mars 2012.

 

d.       L’intervention de la banque n’est aucunement nécessaire pour la constitution du gage. C’est un engagement du locataire envers le bailleur et leurs signatures suffisent pour faire naître le privilège. Comme le souligne P. VAN OMMESLAGHE, En particulier si le constituant du gage et le créancier gagiste en sont d’accord et en règlent conventionnellement les modalités, la notification du gage au débiteur de la créance nantie n’est plus une condition essentielle de l’efficacité du privilège. Le gage est donc constitué par l’accord des parties. En l’espèce cet accord s’est accompagné du dépôt des avoirs sur le compte convenu avec la banque et celle-ci ne conteste pas avoir reçu le même jour la copie de la convention de gage. La notification est donc intervenue le jour même.

 

e.       Selon la banque[7], les travaux préparatoires précisent que «le bailleur est garanti du montant total dès la conclusion du contrat (…) avec la Banque». Cette citation est inexacte. La phrase exacte précise : «Le bailleur est garanti du montant total dès la conclusion du contrat»  et il résulte du contexte[8] que le contrat visé est le contrat de bail. Il n’est par contre nulle part affirmé que la signature ou l’acceptation de la banque serait une condition de validité du gage.

 

f.        Se référant à un arrêt de la Cour de Cassation[9] du 21 octobre 2014, la banque cite encore une phrase que les experts n’ont pas pu retrouver dans l’arrêt. Elle en déduit que cet arrêt exclut la possibilité de constituer une garantie par une déclaration unilatérale d’une des parties ou un transfert unilatéral de fonds. L’arrêt ne dit rien de la sorte. La Cour se prononce sur le moment de la compensation entre la créance du bailleur et le montant déposé à titre de garantie. Elle précise : La constitution, conformément à l’article 10 de la section 2 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil portant des règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur, d’une garantie locative sous la forme d’une somme versée sur un compte ouvert au nom du preneur auprès d’une institution financière ne donne naissance à une créance sur cette institution que dans le chef du déposant. Cet arrêt casse donc la décision qui lui était déférée, et qui avait considéré que la montant déposé en garantie devait être considéré, sous peine de perdre tout son sens et efficacité, comme ayant été déposé entre les mains du propriétaire.  Cette question est étrangère à la présente cause.

 

g.       La banque estime que son accord est indispensable puisqu’elle est tenue en vertu de la loi d’attester vis-à-vis des bailleurs, que la garantie locative est octroyée, peu importe la manière dont cette garantie est constituée. L’obligation de notifier la garantie telle qu’elle est prévue par l’article 10, § 1er, dernier alinéa des règles particulières du Code civil relatives aux baux de résidence principale, n’est en rien une condition de formation du contrat mais une obligation d’information mise à charge du professionnel selon un formulaire standard élaboré par Arrêté Royal. La banque ne peut donc tirer argument du fait qu’elle n’a pas notifié la garantie pour en déduire que la sûreté n’était pas constituée. Comme précisé plus haut cette garantie nait de l’accord des parties.

 

h.       La banque invoque enfin un paragraphe du formulaire signé par les parties où il est précisé : «Cette convention ne produit ses effets qu’après communication, par écrit, par la banque, au locataire et au bailleur, de la confirmation du versement du montant précité sur le compte d’épargne et de l’enregistrement de cette convention par ses Services Centraux». Il convient de rappeler que l’article 12 des règles particulières du Code civil relatives aux baux de résidence principale précise que Sauf si elles en disposent autrement, les règles de la présente section sont impératives. La banque ne peut donc ajouter à un texte de droit impératif (voire d’ordre public selon certains) des conditions de son cru qui affectent les droits des parties que la loi entend protéger soit, en l’espèce, le bailleur comme le locataire.

 

i.         Le texte légal et les travaux préparatoires confirment expressis verbis que l’intention du législateur est, tout au contraire, de faciliter l’accès au logement et donc les formalités de constitution de la garantie locative, notamment pour les personnes les moins favorisées.

 

j.         La banque a fourni le document de constitution de gage en y inscrivant le numéro du compte d’épargne individualisé. Elle a accepté le dépôt de la garantie. Le privilège du bailleur est né le 1er mars 2012. Conformément à l’article 10 § 3 (), «il ne peut être disposé du compte bancaire, tant en principal qu’en intérêts (…) qu’au profit de l’une ou l’autre des parties moyennant production soit d’un accord écrit, établi au plus tôt à la fin du contrat de bail, soit d’une copie d’une décision judiciaire ». En décidant de restituer les fonds au locataire sans avoir au préalable l’accord du bailleur, la banque a commis une faute. Il lui incombe d’en supporter les conséquences en remboursant au bailleur le montant de la garantie majoré des intérêts calculés au taux du compte d’épargne du 1er mars 2012 jusqu’au jour du paiement.

 

4.         CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN

 

L’Ombudsman rejoint la position des experts de son Collège : en restituant la garantie locative –valablement constituée- sans l’accord préalable du bailleur ou une décision judiciaire l’y autorisant, la banque a commis une faute. En conséquence l’Ombudsman invite la banque à rembourser le montant de la garantie majoré des intérêts précisés ci-avant.

 

La banque dispose d’un délai de 30 jours pour informer Ombudsfin de la suite qu’elle réservera à cette recommandation.

 

 


[1] Le collège s’est réuni le 20/09/2016 en présence de d’A. Van Oevelen, M.-F. Carlier, N. Spruyt, M. Mannès, F. De Patoul, E. Struye et  L. Jansen et l’avis a été définitivement approuvé par les experts, le 26/09/2016.

[2] Et non synallagmatique comme le soutient la banque en citant erronément un auteur qui ne dit rien de la sorte.

[3] DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VI, n° 1013, 1046 et 1047 ; T’KINT, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, n° 244-245.

[4] Cass., 1er juin 1878, Pas; 1878, I, 279; Cass., 11 juillet 1907, Pas., 1907, I, 328 ; Cass., 10 juillet 1941, Pas., 1941, I, 295 ; voy. la jurisprudence citée par A.M. STRANART, « Chron. de jur. », Rev. Banque, 1975, p. 237, note 24.

[5] Ce texte est fondé sur une fiction selon laquelle la mise en possession (requise par l’article 2076 du Code civil) a lieu par la conclusion du contrat de gage, ce qui a en pratique pour conséquence de transformer le gage en un contrat consensuel. (P. VAN OMMESLAGHE, “Le nouveau régime de la cession et de la dation en gage de créances”, J.T.,1995, p. 536, n° 20.

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[6] Voy. M. GREGOIRE, « la modification du Code civil en ce qui concerne les sûretés mobilières », in Insovabilité et garanties, C.U.P., n°153, Larcier 2015, p. 11 ;

[7] Citant Doc. Parl., Chambre, 51, 2873/020, p13 et Doc. Parl., Sénat , 2006-2007, 2121/4, p. 10 ;

[8] Dans ce cadre, il est nécessaire que l’article 10 de la loi de 1991 soit modifié. Il sera dorénavant possible de constituer la garantie locative de trois manières : (…). Dans tous les cas, le bailleur est garanti du montant total dès la conclusion du contrat. Doc. Parl., Chambre, 51, 2873/020, p.13;

[9] Cass. 2 octobre 2014 (et non 2004 comme l’écrit la banque), C13.0284.F/1