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Crédit à la consommation – Exécution du contrat – Décompte

 

2015.2941

 

THEME

 

Crédit à la consommation – Exécution du contrat – Décompte

 

AVIS

 

Présents:
Monsieur A. Van Oevelen, Président;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, L. Jansen, membres.

Madame M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 19 avril 2016

 

1.         LES FAITS

 

Le demandeur a conclu un prêt à tempérament avec la banque, le 29 janvier 2001, à concurrence d’un montant principal de 8.056,54 euros. Le dernier paiement a été effectué le 31 mai 2002.

 

Ce prêt a été dénoncé le 2 juillet 2002 et est devenu totalement exigible.

 

Quatre cessions de rémunération ont été effectuées comme suit :

 

02/07/2002 : cession de rémunération (débiteur principal) 
29/03/2003 : cession de rémunération (caution)
24/12/2003 : deuxième cession de rémunération (débiteur principal) 
05/02/2004 : troisième cession de rémunération ((débiteur principal)
 

Entre le 30 août 2002 et le 2 décembre 2015, des retenues pour un montant total de 5.790,98 euros ont été perçues mais aucun versement n’a été effectué par le demandeur depuis la dénonciation du prêt.

 

Il n’y a eu aucune opposition à ces cessions de rémunérations.

 

Le 22 mars 2006, une requête en règlement collectif de dettes a été déclarée admissible par le Tribunal de Première Instance et au cours de cette procédure, la banque a introduit sa déclaration de créance auprès du médiateur le 7 avril 2006 et celle-ci a été admise dans la procédure. Ledit Tribunal a rejeté la demande en règlement collectif de dettes, en constatant l’impossibilité d’établir un plan de règlement amiable ou judiciaire par jugement du 11 décembre 2007.

 

Les retenues ont alors repris à partir de janvier 2008 jusqu’en décembre 2015. En août 2015, la banque a adressé une lettre de mise en demeure par voie d’huissier pour réclamer un solde de 4.416,65€. L’épouse du demandeur, intervenant comme caution solidaire, a formulé oralement une proposition de remboursement de 30 euros par mois mais cette proposition n’a pas été respectée.

 

Aucun versement spontané n’a été effectué par le plaignant depuis la dénonciation.  Le créancier fait état de plusieurs promesses téléphoniques de paiement qui n’ont jamais été respectées. Le débiteur principal et la caution n’ont introduit aucune opposition à la cession. Les retenues se poursuivent de manière régulière depuis des années.

 

Par l’intermédiaire de son avocat, le demandeur fait valoir que les paiements effectués depuis la déchéance du terme sont le résultat de la mise en œuvre d’une cession de rémunération, laquelle au contraire d’un paiement volontaire, n’est pas assimilable à une reconnaissance de dette et n’interrompt pas la prescription.

 

(…) Le dernier paiement volontaire remontant au 31 mai 2002, la prescription de la dette est, selon la partie demanderesse acquise depuis le 1er juin 2012. A l’appui de cette position, elle invoque un précédent avis rendu par le Collège, le 15 février 2015. Elle estime que les sommes perçues depuis le 1er juin 2012 doivent être restituées et que le solde ne peut être plus réclamé.

 

2.         POSITION DE LA BANQUE

 

La banque relève que le délai de prescription de 10 années, apparemment écoulé, a été interrompu par les actes suivants :

 

(a)    par la cession de rémunération dont chaque prélèvement effectué sur le salaire équivaut à un paiement volontaire ou, à tout le moins,  à une reconnaissance tacite de la dette par le fait que le débiteur ne s’est jamais opposé. La banque invoque une certaine Doctrine (Actes du colloque du Jeune Barreau de Liège, 25 mai 2007, p. 59 et 60) et Jurisprudence ( Cour d’appel de Mons, 13/12/2000, 1998/RG/984 ; Tribunal de Première Instance de Liège, 31/10/2005, Rev.Not.B., 2006, liv. 2997,295 ; Cour d‘appel de Liège, 23/03/2010, 2009/RG/521).

 

(b)    par la déclaration de créance lors de la procédure en règlement collectif introduite en 2007

 

(c)     par plusieurs promesses de paiement par téléphone

 

Au vu de ces arguments, la banque estime que la dette n’est pas prescrite.

 

3.         AVIS DES EXPERTS

 

a.                  Le délai de prescription est écoulé

 

Ce point n’est pas douteux. L’article 2262bis § 1 du Code civil : les actions personnelles se prescrivent par dix ans.  En l’espèce, le délai prend cours à compter de la dénonciation survenue le 2 juillet 2002. La prescription est donc acquise le 3 juillet 2012 à 0 heure. Reste à voir s’il y a des causes de suspension et/ou d’interruption qui doivent survenir avant que la prescription ne soit acquise soit avant le 3 juillet 2012.

 

b.                  Les cessions de rémunération constituent-elles un acte interruptif de la prescription ?

 

La prescription étant la règle et l’interruption, l’exception, il faut considérer l’énumération légale comme limitative (Maxime Marchandise, La prescription, in DE PAGE, Traité de droit civil belge, Bruylant, 2014, n°79, n° 121). Il ne saurait donc être question d’adapter le texte en prévoyant des actes interruptifs non prévus par la loi.

 

La loi prévoit quatre actes interruptifs : la citation, le commandement signifié à celui qu’on veut empêcher de prescrire, une saisie signifiée, une mise en demeure spéciale par avocat ou par huissier.

 

Un seul de ces actes fait l’objet d’une appréciation large par les tribunaux.  Il s’agit du premier cas, la citation, pour laquelle, les juridictions étendent le concept à tout acte introductif d’instance saisissant une juridiction d’une cause (Maxime  Marchandise, op. cit., n°83, p. 124).

 

La cession de rémunération peut-elle rentrer dans les actes visés par la loi ? La réponse est négative. La cession de rémunération ne saisit aucunement la juridiction à l’instar d’une citation. Elle ne constitue en rien un commandement (dont la doctrine rappelle qu’il suppose toujours un titre exécutoire).

 

La cession de rémunération n’est pas davantage assimilable à une saisie, ni dans sa mise en œuvre, ni dans ses effets. La cession ne requiert aucune signification (alors que c’est ce que la loi prévoit pour les citations, commandements et saisies) et elle ne bloque pas les avoirs comme une saisie (en créant, le cas échéant, une situation de concours), puisque par définition, elle fait sortir la créance cédée du patrimoine du débiteur. L’effet interruptif de la saisie est organisé jusqu’au terme de la procédure d’exécution alors qu’il faudrait imaginer un régime singulier pour la cession qui est en réalité un acte instantané.

 

Assimiler la cession de rémunération à une saisie pour l’application de la théorie de l’interruption de la prescription est contraire à la règle légale.

 

c.                   Les retenues sur les indemnités peuvent-elles être considérées comme des paiements volontaires ?

 

A l’évidence, on ne peut qualifier les retenues sur rémunération de paiements volontaires. Le débiteur ne pose aucun acte, tout se déroule en dehors de sa volonté. Ces paiements sont le résultat d’une initiative du créancier et d’un prélèvement d’office de l’employeur.

 

d.                  L’absence de réaction suite aux retenues permet-elle d’assimiler ces retenues à une reconnaissance de dette ou à une renonciation à la prescription acquise ?

 

Selon l’article 2248 du Code civil, La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit contre lequel il prescrivait.

 

 

La reconnaissance est un aveu et répond aux règles du droit commun qui régissent cette forme de preuve (M. Marchandise, op.cit., n°134, p. 190).

 

Comme l’aveu, la reconnaissance de dette peut donc être expresse ou tacite. La reconnaissance est tacite lorsqu’elle s’induit de manière certaine des actes de celui qui prescrivait. Le silence d’une partie ne peut être considéré comme un aveu que s’il s’accompagne de circonstances particulières qui lui confèrent ce caractère. En l’espèce, c’est l’absence d’opposition à la cession, persistant sur plusieurs années, qui est allégué comme la circonstance qui confèrerait au silence la portée d’une reconnaissance de dette.

 

La Cour de cassation souligne que Si l’aveu peut être implicite, il doit être certain, de sorte qu’il ne peut se déduire que de faits non susceptibles d’une autre interprétation (Cass., 7 septembre 2006, C040032F, www.juridat.be).

 

C’est au créancier d’apporter la preuve de l’existence d’un acte interruptif. Que doit-il prouver ? Le créancier doit prouver les faits matériels (faits qui ne produisent pas en soi d’actes juridiques), mais aussi les faits juridiques (faits auxquels s’attachent des conséquences de droit) (Pierre Van Ommeslaghe, Droit des Obligations, T. III, n° 1634). Le créancier doit donc prouver que l’intention certaine du débiteur déduite de son abstention à faire opposition, était de reconnaître la dette.  Cette démonstration doit se baser que sur des faits certains non susceptibles d’une autre interprétation.

 

Les experts estiment, à l’encontre de certaines décisions de jurisprudence invoquées par les créanciers, que l’absence de réaction ne peut être assimilée à une reconnaissance volontaire de dette. Ils font observer d’abord que l’article 2248 vise expressément un acte volontaire et non l’exécution d’une obligation légale ou d’une condamnation judiciaire (M. Marchandise, op. cit., n°134, p.192). Or, la cession de rémunération d’usage très courant dans le crédit à la consommation, est une forme d’exécution en cas de défaut de paiement.

 

Les experts constatent qu’il n’y a pas, en l’espèce, un acte volontaire du débiteur et que l’absence d’opposition à une saisie pratiquée plusieurs années auparavant, peut s’expliquer par la négligence, par la résignation devant une exécution inéluctable ou par la crainte que  les mesures méthodique de recouvrement suscitent chez les consommateurs dans ce genre de situation, précisément pour obtenir paiement[1].

 

Ainsi, la 7ème chambre de la Cour du Travail de Bruxelles, statuant le 28 juin 2012 sur des retenues effectuées par l’administration de l’enregistrement, a refusé de considérer ces retenues comme des actes (volontaires) interruptifs :

 

Indien algemeen aangenomen wordt dat de schulderkenning niet noodzakelijk expliciet moet gebeuren, maar ook impliciet kan plaatsvinden, dan is het nochtans niet betwist dat er slechts dan sprake kan zijn van een schulderkenning wanneer de schulderkenning zeker is (cfr M. Jourdan et S. Remouchamp, L’accident sur le chemin du travail: déclaration procédure, prescription, Kluwer, coll. Études pratiques de droit social, p. 184). De schulderkenning moet bovendien uitgaan van de schuldenaar en kan niet uitgaan van een derde (cfr. Cass. 18 november 1996, JTT, 1997, p. 26, C. Lebon, “tenietgaan van verbintenissen – Verjaring –Stuiting van verjaring” in Bijzonder overeenkomsten –Atikelsgewijze commentaar, Kluwer, Jura, T. I, Hoofdstuk V, afd 7)en vooral ze moet vrijwillig zijn (avec nombreuses références citées)[2].

 

Comme le relève la Cour d’appel de Bruxelles (arrêts du 25 février et 18 novembre 2011 cités dans  l’arrêt de cassation du 29 novembre 2013, http://www.juridat.be qui ne trouvera rien à redire à cette motivation) :

 

Il s’ensuit qu’aucune renonciation tacite à une prescription ne peut être déduite d’un fait qui pourrait aussi s’expliquer par une négligence grave ou une omission.

 

 

La Cour d’appel de Liège avait déjà utilisé cette motivation dans un arrêt du 14 décembre 1995 (J.L.M.B., 1996, 749, note D.J.).

 

Les experts estiment que la banque ne fournit pas la preuve, en l’espèce, que l’absence d’opposition doit s’interpréter de manière certainecomme une reconnaissance volontaire de la dette ou une renonciation à la prescription déjà écoulée.

 

e.                  La requête en règlement collectif constitue-t-elle une cause d’interruption de la prescription ?

 

L’inscription d’une créance dans la requête en règlement collectif est une reconnaissance de dette (en ce sens : D. Patart, Le règlement collectif de dettes, Rep. Not., Larcier 2008, n°111, p.149). On doit donc considérer en l’espèce que la prescription a été interrompue au début de l’année 2006 (la date exacte du dépôt de la requête n’est pas connue). La décision d’amissibilité entraîne en outre la suspension de la prescription pendant toute la durée de la procédure (D. Patart, ibid. ; M. Marchandise, op. cit., n°215, p.264).

 

Des éléments de fait communiqués, il résulte que la procédure de règlement collectif s’est clôturée par un jugement de révocation intervenu le 11 décembre 2007. Un nouveau délai de prescription a donc commencé à courir le jour du dépôt de la requête pour être suspendu ensuite pendant la procédure jusqu’au jour du jugement de révocation. La dette n’est donc pas prescrite, l’expiration du délai de prescription étant ainsi reporté dans le courant de l’année 2017.

 

En août 2015, le créancier a fait notifier une mise en demeure par huissier. Ce courrier, dont rien ne démontre qu’il ait été adressé par lettre recommandée avec accusé de réception, ne répond pas aux conditions énumérées à l’article 2244, § 2 du Code civil ; ainsi et notamment, il ne contient pas l’indication du caractère interruptif de la prescription provoquée par cette mise en demeure.

 

f.                   Suspension de la prescription par la procédure devant le service de médiation

 

Il faut également rappeler que l’intentement de la procédure devant le Service de médiation suspend la prescription :

 

CDE XVI.27 :

Dès qu'une entité qualifiée a reçu une demande complète de règlement extrajudiciaire, les délais de prescription de droit commun sont suspendus.
  La suspension court jusqu'au jour où l'entité qualifiée communique aux parties :
  - que le traitement de la demande est refusé, en application de l'article XVI.25, § 1er, 8° ;
  - ou bien, quel est le résultat du règlement amiable, en application de l'article XVI.25, § 1er, 13°.

 

Il faudra donc rajouter le temps de suspension résultant de la présente procédure.

 

g.                  La prescription des intérêts

 

Les intérêts moratoires depuis la dénonciation du crédit sont soumis à la prescription courte de l’article 2277 du Code civil. Il y a donc lieu de considérer qu’au jour où l’avis sera rendu, le plaignant ne sera redevable que des intérêts calculés sur les 5 années précédant la réception de la demande complète par le Service de médiation (la procédure a également suspendu la prescription des intérêts).

 

Au moment de l’introduction de la procédure, la dette du plaignant doit donc être ramenée à :

 

·         Solde en capital : 458,86 €

·         Indemnité contractuelle : 616,18 €

·         Intérêts de retard : (à recalculer du 17 décembre 2010 jusqu’à la date de communication présent avis)

·         Frais de rappel : 111,62 €

 

4.         CONCLUSION DE L’OMBUDSMAN

 

Au vu de ce qui précède et compte tenu de l’analyse ci-avant, l’Ombudsman considère que l’introduction de la procédure de règlement collectif de dettes a interrompu la prescription de la dette. Dès lors, un nouveau délai de prescription a commencé à courir à la date du dépôt de la requête en admission du règlement collectif de dettes.

 

Ce délai a, par ailleurs, été suspendu pendant la procédure de règlement collectif de dettes à dater du dépôt de la requête (date inconnue –début 2006) jusqu’au prononcé dudit jugement du 11 décembre 2007 et pendant la présente procédure de médiation à dater du 17 décembre 2015 (réception de la demande complète) jusqu‘à la date de communication du présent avis.

 

Pour le calcul des intérêts de retard, ceux-ci doivent être calculés sur les 5 années précédant le 17 décembre 2015, à partir du 17 décembre 2010.

 

L’Ombudsman invite dès lors la banque à actualiser son décompte en fonction de ces éléments ci-avant mentionnés et à restituer, le cas échéant, les sommes trop perçues ou à réclamer les sommes restant dues.

 

 

 


[1] Voy en ce sens dans l’arrêt de la Cour de cassation du 29 novembre 2013 déjà cité, le passage tirée de l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles soumis à sa censure  : S’il est vrai que cette menace ou cette crainte était vaine, dès lors que la demanderesse ne disposait d’aucun titre l’autorisant à provoquer cette vente, il n’en demeure pas moins que rien, dans ces courriers ou dans les pièces déposées, ne permet de penser que le mandataire des défendeurs auraient ainsi posés des actes qui ne pouvaient s’interpréter que comme une renonciation à la prescription acquise au nom de leurs clients respectifs ;

 

[2] Traduction libre : S’il est généralement admis que la reconnaissance de dette ne doit pas être nécessairement explicite, mais peut se réaliser de manière implicite, il n’est néanmoins pas contesté qu’il ne peut y avoir de reconnaissance de dette que lorsque la reconnaissance de dette est certaine. La reconnaissance de dette doit en outre émaner du débiteur et non d’un tiers et surtout, elle doit être volontaire.