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Octroi carte de crédit sans accord du cotitulaire – articulation de clauses créant un déséquilibre manifeste – caractère abusif.

 

2014.0413

 

THEME

 

Octroi carte de crédit sans accord du cotitulaire – articulation de clauses créant un déséquilibre manifeste – caractère abusif.

 

AVIS

 

Présents :
Monsieur A. Van Oevelen, Président ;

Madame M.-F. Carlier, Vice-Président;

Messieurs F. de Patoul, E. Struye de Swielande, N. Claeys, L. Jansen, membres
Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 20 janvier 2015

 

I. OBJET DE LA CONTESTATION ET POINT DE VUE DES PARTIES

 

Le 27 novembre 2008, la requérante et son compagnon ouvrent un compte dans les livres de la banque. Ils signent le document d’ouverture de compte et un formulaire intitulé « pouvoir de gestion ». Ce formulaire précise que les titulaires se donnent mutuellement procuration pour faire fonctionner le compte sous la seule signature de l’un d’entre eux. Ce document confère en outre, à chacun des titulaires, le pouvoir de : Emprunter toutes sommes, conclure et utiliser toute ouverture de crédit et constituer toutes garanties et sûretés au profit de la banque, étant entendu que la banque se réserve à sa convenance, d’exiger en ces matières la signature du titulaire.

 

Le couple semble s’être séparé dans le courant de l’année 2013. La requérante affirme avoir sollicité la clôture du compte commun mais n’est pas en mesure de démontrer cette affirmation et la banque n’a pas trouvé trace d’une telle demande.

 

Le 26 juillet 2013, le compagnon de la requérante obtient de la banque une carte VISA avec une limite d’utilisation à 2.000 €. Il est prévu que les dépenses faites au moyen de la carte, seront débitées du compte commun.

 

La requérante n’a été informée ni de la demande, ni de l’octroi de la carte. L’utilisation de la carte s’avérera immédiatement problématique et le compte commun, débité des dépenses, sera en position débitrice dès le premier prélèvement, le 5 septembre 2013. Hormis deux versements partiels de ses revenus professionnels et malgré plusieurs mises en demeure adressées aux deux titulaires, le compagnon de la requérante restera en défaut de rembourser le montant des dépenses sur le compte commun jusqu’au blocage de la carte au début du mois de décembre 2013. Le 6 janvier 2014, après le dernier prélèvement des dépenses, le compte commun se trouve en débit de 6.980,88 €.

 

La banque a mis les deux titulaires en demeure de rembourser le solde débiteur du compte.

 

La requérante conteste cette demande. Elle souligne qu’elle avait obtenu l’assurance verbale que ce compte ne pouvait en aucun cas se trouver en débit. Elle conteste le droit pour la banque d’octroyer une carte visa à son insu pour lui réclamer ensuite le remboursement des dépenses effectuées. Elle demande en outre que la mention du défaut de paiement soit supprimée de la Centrale des Crédits aux particuliers de la banque nationale (fichier ENR).

 

La banque argumente que :

1.    Le pouvoir de gestion autorise expressément un titulaire à contracter seul un emprunt et à se faire remettre toute carte permettant d’effectuer des opérations bancaires courantes sans apposition d’une signature.

2.    L’article 53 du règlement général des opérations de la banque accepté par les deux titulaires précise que les cotitulaires d’un compte sont solidairement et indivisiblement tenus à l’égard de la banque.

3.    Le devoir d’information de la banque est limité par son devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires de ses clients et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir informé la requérante dès lors qu’elle avait expressément marqué son accord pour l’octroi d’un crédit sur la seule signature de l’autre titulaire.

4.    Elle ne peut communiquer la convention relative à l’octroi de la carte VISA sans l’accord de l’autre titulaire qui a sollicité cette carte et signé le formulaire de demande.

 

A titre transactionnel, la banque a proposé de ne pas réclamer à la requérante les dépenses effectuées au moyen de la carte en novembre et décembre 2013, considérant que le défaut de domiciliation des revenus professionnels début novembre aurait pu constituer un signal d’alarme pour bloquer l’utilisation de la carte. Cette proposition a été refusée par la requérante.

 

II. AVIS DU COLLEGE

 

Le Collège constate en l’espèce que par une articulation des clauses reprises dans les documents contractuels qu’elle rédige, la banque est en mesure de faire naître une créance à charge et à l’insu de la requérante. Se fondant sur ces mêmes dispositions, la banque se déclare en outre, en droit de refuser de communiquer à ce consommateur les documents contractuels qui justifient l’existence et les conditions de la créance passée en compte. Le Collège estime que ces dispositions créent un déséquilibre manifeste des droits et obligations au détriment du consommateur.

 

Le Collège considère donc que la clause du document d’ouverture de compte qui permet à la banque d’accorder un crédit à un des titulaires du compte sans l’accord préalable de l’autre, est une clause abusive au sens de la définition reprise à l’article I.8. du Code de droit économique : toute clause ou toute condition dans un contrat entre une entreprise et un consommateur qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur.

 

L’article VI.82 du Code de droit économique précise que Le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des produits qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.

 

La requérante souligne que, lors de l’ouverture du compte, elle s’était fait confirmer que le compte ne pouvait fonctionner en débit. Elle pouvait donc considérer que le risque lié à ce compte était limité aux avoirs qui s’y trouvaient. Cette attente légitime a été trompée par l’octroi d’un crédit occulte à l’autre titulaire. Dans la rédaction de la clause litigieuse, la banque se réserve d’ailleurs le droit d’exiger la signature de l’autre titulaire pour l’octroi d’un crédit. Le Collège estime qu’en l’espèce, cette signature était indispensable.

 

Cet agencement des conditions contractuelles va à l’encontre du devoir d’information du professionnel clairement mis en évidence par plusieurs législations récentes lorsqu’il s’agit d’éclairer le consommateur sur des obligations ou des risques particuliers qui pèsent sur lui  (et notamment, dans le code de droit économique, les articles VI.2 - obligation générale d’information - , VII.12 et VII.13 - devoir d’information à l’occasion de la conclusion d’un contrat-cadre de service de paiement - ) singulièrement en matière de crédit ( articles VII.67 et suivants) ou de cautionnement (- avec lequel le mécanisme utilisé par la banque présente quelque similarité -  articles VII.109 et suivants du CDE et article 2043quinquies et suivants du Code civil).

 

Conformément à l’article VI.84, § 1, du Code de droit économique, Toute clause abusive est interdite et nulle. Il s’ensuit que dans les circonstances de l’espèce, les dépenses résultant de l’utilisation de la carte accréditive ne pouvaient être passées au débit du compte commun aux deux titulaires.

 

Il ressort de l’examen des mouvements du compte que la requérante n’a plus eu aucun usage du compte après le 16 août 2013 (le compte est alors créditeur de 1,35 €), date à partir de laquelle les débits résultant de l’usage de la carte ont placé systématiquement le compte en situation débitrice.

 

Le Collège estime que la requérante n’est pas tenue de rembourser le solde débiteur du compte.

 

III. CONCLUSION

 

La plainte est recevable et fondée. Le Collège invite la banque à supprimer la mention du défaut de paiement de la requérante dans le fichier de la Centrale des Crédits et à recouvrer sa créance exclusivement à charge de l’autre titulaire du compte.