Vorige

Paiements et comptes de paiements – Cartes – Opérations contestées

2017.802

 

THEME

 

Paiements et comptes de paiements – Cartes – Opérations contestées

 

AVIS

 

Présents :

Madame M.-F. Carlier, Vice-Présidente ;

Messieurs E. Struye de Swielande, J. Vannerom, membres ;

Mesdames M. Mannès, N. Spruyt, membres.

 

Date : 20 juin 2017

 

1.         VOTRE PLAINTE

 

Le 7 octobre 2016, vers 11h35, La requérante s’est rendue au Delhaize, Place du Droit 1, à 1070 Anderlecht, pour y faire ses courses. Au moment de passer à la caisse, une dame et son enfant se sont approchés d’elle. Ils sont restés près de la requérante jusqu’à ce qu’elle ait exécuté le paiement par carte bancaire, à 11h50. Il s’agit du dernier paiement non contesté, la requérante soupçonne la dame et son enfant de lui avoir volé sa carte de banque après avoir épié son code. Elle est, ensuite, rentrée directement chez elle et n’est plus ressortie car elle se sentait mal.

 

A partir de 22h56 ce jour-là, les escrocs ont réalisé, à l’aide de la carte de la requérante, les opérations suivantes, qu’elle conteste :

 

7 octobre 2016

·         22h56 : Retrait d’argent liquide pour un montant de 50€.

·         22h58 : Retrait d’argent liquide pour un montant de 300€.

·         22h59 : Retrait d’argent liquide pour un montant de 150€.

 

8 octobre 2016

·         Retrait d’argent liquide pour un montant de 700€.

·         1h21 : Paiement dans un night shop pour un montant de 187,50€

·         1h26 : Paiement dans un night shop pour un montant de 56€

·         15h48 : Paiement dans un night shop pour un montant de 6,30€

·         16h46 : Paiement dans un magasin de téléphonie mobile pour un montant de 279€

 

9 octobre 2016

·         00h10 : Retrait d’argent liquide pour un montant de 150€.

 

Le montant total des opérations contestées s’élève donc à 1878,80€.

 

La requérante s’est rendue compte du vol de sa carte de banque dans la nuit du 8 au 9 octobre 2016, vers 03h00. Le 9 octobre, à 11h42, sa fille a fait bloquer sa carte.

 

En allant consulter l’état de son compte avec son beau-fils, le 10 octobre 2016 à 10h, la requérante a découvert le montant qui lui a été dérobé.

 

Le même jour, elle a déposé plainte à la police et a rempli un formulaire de contestation de transactions à son agence.

 

Après un examen de son dossier, la banque refuse d’intervenir pour les raisons exposées ci-dessous.

 

La requérante conteste cette décision et réclame à la banque le remboursement de 1878.80€.

 

2.         POSITION DE LA BANQUE

 

Premièrement, la banque note qu’il s’est écoulé plus de 11 heures entre le vol de la carte de la requérante et le premier retrait frauduleux. Elle se demande pourquoi le voleur, qui avait la carte et qui connaissait le code, aurait attendu tant de temps avant d’employer la carte volée, sachant que la requérante aurait pu la bloquer à tout moment. La banque en déduit que le voleur n’avait probablement pas pris connaissance du code lors du passage à la caisse chez Delhaize de la requérante, vers 11h50.

 

Dans l’hypothèse inverse selon laquelle le voleur avait bel et bien épié le code secret, le fait qu’il n’ait pas immédiatement retiré de l’argent à l’aide de celle-ci signifie qu’il n’était pas encore entré en possession de la carte. Or, il est très peu probable, selon la banque, que la carte ait été dérobée plus tard dans la journée. En effet, la requérante a déclaré à la police être rentrée directement chez elle et ne plus être ressortie par la suite.

 

Deuxièmement, la requérante affirme utiliser un code compliqué qui ne peut en aucun cas être déduit des documents présents dans son portefeuille. La banque est d’avis que si son code n’était pas un code évident et que celui-ci n’a pas été épié au supermarché, il devait obligatoirement se trouver en présence de sa carte bancaire. Cela implique une négligence grave dans le chef de la requérante.

 

Troisièmement, la banque trouve que la requérante a fait preuve de négligence grave en utilisant sa carte bancaire dans un environnement non sécurisé. En effet, elle était consciente qu’une dame se tenait très près d’elle et a, malgré cela, introduit son code secret sans lui demander de s’éloigner.

 

Quatrièmement, la banque s’étonne de l’heure à laquelle la requérante a découvert la disparition de sa carte (3h00 dans la nuit du samedi au dimanche 9 octobre) et lui reproche le délai particulièrement long (plus de 8h) entre la découverte du vol et le blocage de sa carte auprès de Card-Stop.

 

En conclusion, compte tenu de tous les éléments qui précèdent, la banque estime avoir établi une négligence grave dans le chef de la requérante et par conséquent, refuse toute intervention de leur part dans cette affaire.

 

3.      AVIS DU COLLEGE

 

Le Collège rappelle que, conformément à l’article VII.36, § 3, alinéa 3, première phrase du Code de Droit économique (ci-après CDE), pour l’évaluation de la négligence grave de l’utilisateur de l’instrument de paiement, il faut toujours prendre en compte l’ensemble des circonstances de fait. Il importe donc de déterminer, au cas par cas et en tenant compte de tous les éléments de fait, si l’utilisateur de l’instrument de paiement a été gravement négligent.

 

Dans le PV de police du 10 octobre 2016, la requérante a déclaré que le 7 octobre 2016, à 11h35, elle faisait des courses chez Delhaize à Anderlecht. Néanmoins, il ressort du PV que - bien qu’elle se soit rendue compte des agissements suspects d’une femme avec un enfant – elle n’a pas hésité à introduire son code secret, sans prendre de mesure de précaution. D’autant que – selon la déclaration de la requérante – la personne suspecte se tenait tout près de la requérante au moment du paiement. Ensuite, elle a rangé son portefeuille dans la poche droite de sa veste – donc pas dans un sac à main fermé – alors que la femme suspecte se trouvait encore à proximité. Aucune ruse n’était donc nécessaire pour s’emparer du portefeuille.

 

Si la suspecte a appris le code en regardant par-dessus l’épaule de La requérante (“shouldersurfing”) les circonstances de fait sont déterminantes afin de savoir si l’on peut parler de négligence grave en l’espèce. Le tribunal de commerce de Bergen a jugé que la négligence grave pouvait être retenue lorsque le payeur avait constaté qu’il était observé par un tiers avant d’introduire son code secret (Comm. Mons 28 avril 2011, TBH 2013, 598, note R. Steennot; voy. aussi Avis 2010/2236 du 15 février 2011 d’Ombudsfin). Le Collège constate que la requérante, qui était consciente des agissements suspects dans sa proximité immédiate, a été gravement négligente au moment (I) d’introduire son code secret, puis au moment (II) de ranger son portefeuille en ne prenant aucune précaution particulière et en ne demandant pas à la suspecte de s’éloigner du terminal de paiement. De plus, la requérante a fait preuve de négligence grave, et pas de simple imprudence, en rangeant son portefeuille contenant sa carte de banque dans sa poche droite malgré les agissements suspects dont elle était consciente et bien que la personne suspecte se trouvait proche d’elle (cfr. Avis 2012/1827 du 15 janvier 2013 d’Ombudsfin). Les circonstances de fait sont déterminantes. Ranger son portefeuille dans la poche de sa veste ne constitue pas une négligence grave en soi, toutefois, compte tenu des soupçons de La requérante, on ne peut plus dire qu’elle a été simplement imprudente. (cfr. Avis 2012/1827 du 16 avril 2013 d’Ombudsfin). En effet, la requérante n’a pas pris les mesures de précaution normales, en l’espèce, afin de prévenir le vol de son portefeuille, alors qu’elle savait qu’une personne suspecte se trouvait dans sa proximité. (R. Steennot, "Artikelsgewijze commentaar bij art. VII.36 WER" dans X., Artikel & commentaar. Betalingsdiensten, Wolters Kluwer, Malines, 2015, 217-218).

 

En outre, le Collège note qu’après le vol, la requérante a aussi sous-estimé la gravité de la situation alors qu’il fallait bloquer la carte bancaire et signaler le vol. Premièrement, même en retenant l’hypothèse selon laquelle la requérante s’est rendue compte de la disparition de son portefeuille à 3h du matin, elle a été manifestement grave négligente en n’appelant pas immédiatement Card Stop. Elle n’a bloqué sa carte qu’à 11h42, soit plus de 8h après s’être rendue compte du vol. Pourtant, sur le site de Card Stop, le Collège peut lire clairement que le service est joignable par téléphone jour et nuit, 7 jours sur 7, pour bloquer sa carte de banque. Le Collège se pose également la question pourquoi la requérante n’a pas appelé Card Stop elle-même avec son numéro de GSM pour faire bloquer sa carte bancaire. Selon le PV du 10 octobre 2016, elle a demandé à sa fille de le faire pour elle. En agissant de la sorte, un temps précieux a été perdu. Pourtant, conformément à l’article VII.30, § 1, 2° du CDE, La requérante a l’obligation, en tant qu’utilisatrice d’un instrument de paiement, d’avertir le prestataire de services de paiement ou l’entité désignée par celui-ci (en l’espèce Card Stop) lorsqu'elle a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement. En attendant (I) 8h avant d’appeler Card Stop après avoir pris connaissance de la perte ou du vol et (II) en demandant à une tierce personne d’appeler Card Stop ce qui a retardé inutilement le blocage de la carte, le Collège estime que La requérante ne peut affirmer sérieusement avoir agi consciencieusement après le vol. Au contraire, le Collège retient une négligence grave aussi pour l’appel à Card Stop. A cet égard, le Collège renvoie à l’article VII.36, §3, alinéa 2 du CDE qui cite de façon non exhaustive un nombre de négligences graves. Est ainsi considérée comme négligence grave, le fait pour le titulaire de l’instrument de paiement de ne pas avoir notifié au prestataire de services de paiement ou à l'entité indiquée par celui-ci, la perte ou le vol, dès qu'il en a eu connaissance.

 

En plus, le Collège constate que la requérante n’a également pas fait preuve de diligence pour sa déclaration à la police. Bien que la carte ait été volée le 7 octobre 2016 et que celle-ci n’ait été bloquée que le 9 octobre, la requérante a encore attendu une journée avant de signaler le vol à la police. Ce n’est que le 10 octobre 2016, à 11h17, juste avant l’expiration du délai de 24h après signalement à Card Stop qu’une plainte a été déposée auprès de la police locale et que le vol a été signalé.

 

Compte tenu de ces négligences graves, en particulier lors du vol de la carte de paiement et de la notification tardive du vol à Card Stop et à la police, la requérante supporte, en tant que payeuse, la totalité des pertes occasionnées par des opérations non-autorisées (article VII.36, § 1, premier alinéa CDE).

 

Compte tenu des faits relevés ci-dessus, le Collège est d’avis que la banque a également satisfait à la charge de la preuve de la négligence grave dans le chef de la requérante (article VII.36, § 3 CDE).

 

4.         CONCLUSION

 

Compte tenu des discussions qui ont eu lieu entre les experts, l’Ombudsman rejoint la position du Collège et considère qu’il y a bien eu une négligence grave dans le chef de la requérante. Par conséquent, la banque est exonérée de son obligation d’intervenir en réparation du préjudice. Cette décision de médiation se fonde également sur tous les éléments de fait dont l’Ombudsman a pris connaissance au travers de l’analyse de ce dossier.